La rue St Loup, in La France d’après, Privé, 2007

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Jean Fillioud ânonne son cours sur la communication d’entreprise en regardant par la fenêtre l’hélicoptère qui tournicote lentement au dessus du campus. L’engin troue la nuit de son projecteur. Celui-ci , tel un rayon laser géant, scrute les bâtiments environnants. Les pales, à la manière d’un gros ventilateur, hachure paresseusement l’air et font très légèrement vibrer une des vitres de la salle. Blasés, les étudiants ne prêtent même plus attention à l’intrus mais l’ambiance dans l’amphi est néanmoins tendue. Le prof a renoncé à obtenir le silence, il laisse filer l’incessant murmure qui parcourt les rangées d’élèves.
Le quinqua, trapu, barbu, cossu, semble épuisé ; il vient d’aligner cinq heures de cours sans faire de vraies pauses ; et puis il n’est pas gâté côté transports : il met à présent un temps fou pour venir de Paris ; certains jours, il peut faire Paris- Villetaneuse en près deux heures ! Il va devoir remettre ça tout à l’heure pour rentrer. Rien que d’y penser, ça lui casse le peu de moral qui lui reste.
Il songe aux absents, à Kathleen notamment, la fille qui d’ordinaire est au premier rang. Kathleen ?! A quoi diable ont bien pu penser ses parents en l’affublant d’un prénom pareil ? Kathleen Merlec a une silhouette incroyable, reconnaissable entre toutes. 1m75 pour 50 kg. Une liane, une tige, une corde, un corps élancé et mortifère en même temps, étonnamment prolongé par un visage de madone, mais une madone aux cheveux ras. Mi-ange mi-démon en somme : Fillioud adore ce mélange même si, la première fois qu’il l’a vue en classe, il en a eu peur.
Elle ne mange que des pommes, dit on, une drôle d’habitude qu’elle a prise du temps où elle rêvait d’être mannequin. Il y a deux semaines, il lui a demandé de présenter un exposé sur un sujet d’actualité de son choix ; elle s’est livré à une charge véhémente contre le Président, la caste au pouvoir et leur mur ; sa virulence l’a surpris mais il n’a pas fait de remarque particulière.
Il regarde sa montre, cette dernière heure de cours ne passe pas. Et l’hélicoptère qui semble faire du sur-place, s’obstinant à fouailler les ténèbres.

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Les choses étaient allés si vite depuis le printemps 2007. Le Président avait été élu de justesse ; comme on pouvait s’y attendre, la soirée du deuxième tour avait mal tourné dans la rue, sur les Champs Elysées notamment ; la moitié au moins des commerces avait été vandalisée en dépit d’une armada policière impressionnante ; cette nuit là, deux flics étaient morts, électrocutés ; on n’avait jamais très bien su dans quelles conditions le drame s’était passé ; selon la presse, pris à partie par des jeunes du 93, les CRS en question s’étaient réfugiés dans un transformateur EDF à haute tension, près de l’avenue de Wagram, où ils avaient littéralement grillé ; en vérité, il semble qu’ils se soient auto-foudroyés avec leur " taser", cette nouvelle arme de poing censée envoyer des décharges radicales sur les manifestants pour les paralyser ; les deux policiers se seraient livrés à une mauvaise manipulation, leurs flingues auraient implosé. Le fait n’avait jamais été publiquement reconnu mais il reste que ces armes avaient depuis disparu des commissariats.
Pour le Président, l’occasion était trop belle : les deux flics, devenus des héros, eurent droit à des obsèques nationales ; devant le gratin des différents services, réunis dans la cour d’honneur de la Préfecture de police, rue des Orfèvres, il profita de l’émotion générale pour annoncer son plan de crise. On en retint surtout la décision la plus spectaculaire, celle d’ériger un mur autour du 93.

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Fillioud libère ses élèves un quart d’heure plus tôt que prévu. La classe ne demande pas son reste ; telle une volée de moineaux, elle a vite fait de s’éparpiller. Scrupuleux, le prof éteint les lumières, rend les clés à l’administration et traverse le département Communication. Les couloirs sont quasiment déserts. Le léger feulement des mini caméras qui pivotent sur leur axe pour suivre son déplacement est couvert par le bruit de fond des hauts parleurs diffusant la musique de la chaîne RTP, Radio Télé Paris. Dans l’imposant patio central, deux agents de sécurité en uniforme fluo papotent sur des plots en plastique en grillant une clop, ce qui est par ailleurs strictement interdit. Des fantômes longent furtivement les galeries annexes avant de disparaître dans la nuit. Personne ne s’attarde à la cafétéria ; il est vrai que le couvre feu fixé à 21 h pour les autochtones et le passage du mur pour les rares parisiens ont obligé tout le monde à s’organiser en conséquence. Ce que les gens finalement ont fait sinon de bonne grâce du moins sans trop rechigner, s’étonne Fillioud.
Le prof arpente à présent le hall conduisant à la sortie. Le coin, traversé par un courant d’air frais, est toujours mal éclairé. Il faut dire que la moitié des ampoules ont disparu. Maigre signe de résistance, une banderole contre le président Karcher pendouille sur la façade d’une association étudiante. Une ombre se tient en retrait, masqué par un escalier en colimaçon. A l’approche de Fillioud, elle s’avance brusquement ; le prof a un mouvement de recul puis il reconnaît Kathleen. Elle porte une chapka aux oreillettes délacées qui pendent de part et d’autre de son visage, un long manteau kaki qui étire encore sa silhouette et des bottes noires et sanglées. L’apparition l’interpelle :
  Bonsoir !
  Vous boudez mon cours ?
  Vous rentrez sur Paris ?
  Tout juste.
  Je peux venir avec vous ?

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Un mur ?! L’idée fit un raffut incroyable. Mais le président était bien décidé à passer en force. Il avait réussi à développer en quelques semaines un véritable racisme antibanlieues, isolant ses habitants, ceux du 93 notamment, du reste de la population. A l’évidence, il avait ce projet dans ses cartons depuis belle lurette. Ses communicants fournirent en effet en un tournemain des argumentaires très détaillés pour justifier la séparation. Cette propagande rencontra un large écho dans la presse puis dans l’opinion. On raconte que le Président avait d’abord pensé à une variante ; il s’agissait toujours de construire un mur, non plus pour isoler mais pour protéger un quarteron de villes amies de l’Ouest parisien, à commencer par Neuilly.
Mais ce plan aurait été plus difficile à réaliser, le pouvoir était moins assuré d’avoir le public avec lui. Exit le mur des riches, bienvenue le mur des pauvres ! Le cadastre changeait, la technologie restait la même.
Des experts défilèrent sur les chaînes, sur les ondes, dans la presse pour présenter l’opération. Usant des facilités du couvre-feu, rétabli aux lendemains de l’élection et pour un temps indéterminé, de premières mesures de délimitation (contrôles sur les axes de circulation, barrages routiers) furent établies tout autour du département du grand nord parisien puis, dès l’été 2007, les premiers travaux commencèrent. On vit peu à peu se dresser, le long du boulevard périphérique extérieur, à partir de la porte de Pantin, une sorte de falaise bétonnée, une vague blanche de cinq mètres de haut, belle aubaine, soit dit en passant, pour les taggeurs de tout poil.
Ces mesures eurent pour effet immédiat de provoquer, sur toutes les routes et autoroutes environnantes , des embouteillages monstres et désormais permanents. Les stations de métro situées aux points de passage entre Paris et le 93 furent progressivement fermées au public, transformées en aires de contrôle, ou check-point, comme une douane, appellation que les usagers donnèrent spontanément aux différentes "portes", celles de Montreuil, de Bagnolet, des Lilas, de Pantin, de la Villette, de la Chapelle et de Clignancourt.
Les lignes du Rer Nord furent l’objet d’une surveillance particulièrement tatillonne à l’aller, gare du Nord et surtout au retour, que ce soit dans les différentes gares traversées, dans le train lui même ou au niveau de la station Stade de France.

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Le professeur dispose d’un laissez passer pour deux personnes ; de rares privilégiés bénéficient de ce passe droit, pour eux mêmes et leur collaborateur : cadres de l’administration centrale, universitaires, magistrats, militaires, gens de presse. Fillioud n’en a jamais fait état devant la classe mais cela devait pourtant se savoir. La preuve par Kathleen. Sans lui laisser le temps de répondre, elle lui prend le bras ; il se laisse faire, surpris par le léger frisson qui lui sillonne le dos. Elle lui rappelle une ancienne maîtresse qu’il avait baptisée Lotus, une grande bringue connue dans le Sentier.
Devant la fac, la station de bus est fermée. Fillioud constate que l’hélicoptère a disparu. Il fait noir comme dans un four. Pourtant ici aussi on entend la petite musique de Radio Télé Paris, la RTP, que tout le monde a rapidement baptisé Radio Télé Président. Cette nouvelle station a en partie financé l’installation, dans les lieux publics, du système de vidéo-surveillance qui quadrille aujourd’hui le pays ; en contrepartie, elle a obtenu une sorte d’exclusivité pour la diffusion de ses émissions, dans la rue, les transports, les halls d’entrée de nombreux immeubles, jusque dans les ascenseurs. Bref, difficile d’échapper à RTP, à ses mélodies standard et ses flashs d’information. Mieux : les équipes télé de RTP assurent une véritable permanence autour du mur, dans le Rer nord également et sur tous les points de passage, histoire de pouvoir montrer à tout instant que ce front est calme et que le Président contrôle la situation.

Le prof et son élève traversent une allée sombre plantée d’immenses platanes à demi dévastés par le froid ; puis ils atteignent la rue St Leu et ses pauvres lumières. C’est l’artère qui mène à la gare d’Epinay. Fillioud aime ce nom, St Leu. Il rompt le silence qui s’est installé dans le couple :
  Vous savez qui c’était ?
  Qui ça ?
  Saint Leu.
  Non.
  Saint Loup.
  Comprends pas.
  Saint Leu vient de Saint Loup.
   ?!
  C’était un moine, de la région de Troyes, qui tint tête à Attila. C’est drôle, non ?
  Je vois pas.
  St Leu, St Loup...
Elle fait la moue, il n’insiste pas.

En raison de la proximité du couvre feu, l’embouteillage est total sur la St Leu ; les voitures forment une longue et docile chenille ; les gens ne klaxonnent même plus, la plupart se laissent bercés par les rythmes de RTP, devenue station unique sur les dernières générations d’autoradio.
La rue est bordée de commerces fermés et de pavillons vides que les proprios semblent avoir (provisoirement ?) désertés ; en règle générale ils ont laissé sur place un chien, de préférence gros et hargneux, genre rotweiller ou berger allemand ; à longueur de journée, les animaux tournent comme des fauves en cage dans l’étroit jardinet qui borde les maisons de briques rouges ; à force de trotter ainsi, ils ont fini par creuser un sillon, jonché d’excréments, dont ils ne s’écartent plus. Les bêtes à l’évidence sont plutôt mal ravitaillés. Le prof et son élève descendent la St Leu, accompagnés des vociférations qui se renouvellent de maison en maison, jusqu’à la gare. Kathleen reste muette. Fillioud a bien tenté de la faire parler, en vain ; il n’insiste pas. Sur le quai, il s’assure qu’ils vont pouvoir prendre le dernier Rer pour Paris, celui de 19h44.

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Le Président avait tardé à nommer son gouvernement. Il faut dire qu’il avait profité de l’état d’urgence pour concentrer l’essentiel des pouvoirs dans ses services. Les enquêtes montraient d’ailleurs que les gens avaient le plus grand mal à identifier les principaux ministres. Ils avaient surtout retenu quelques noms un peu emblématiques, ceux de Dieudonné nommé secrétaire d’Etat à l’intégration réussie, de Thierry Jonquet à l’éducation surveillée, d’Alain Finkielkraut au Sport et aux relations entre communautés, d’Arlette Chabot, temporairement détachée de RTP, ministre de l’Information, un poste qui avait disparu depuis les années soixante du siècle dernier.
Avec la venue du nouveau locataire de l’Elysée, tout s’était déglingué à grande vitesse. Les dernières solidarités sociales étaient malmenées, l’individualisme le plus agressif prospérait, le chacun pour soi s’imposait partout, dans la famille, la cité, l’entreprise. Les syndicats étaient sur la défensive, la presse muselée. Libé avait disparu, l’Huma itou. Le Monde regardait ailleurs ; seule Le Figaro prospérait. L’opposition elle même semblait désarmée. Sa candidate, battue en mai 2007, s’était repliée sur ses terres du Poitou Charentes où le climat sécuritaire n’était pas mal non plus ; ainsi, elle venait de faire donner l’armée à l’IUT de Niort, un étudiant était mort dans les échauffourées. On parla de bavure.

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Dans le train, un vieil antillais psalmodie, hochant la tête, brassant l’air de ses bras. " Repentez vous, peuple sans Dieu ! Vous payez votre incroyance !" Fillioud l’a déjà vu, à peu près à la même place, en milieu de journée, lors du voyage aller ; son manège n’est pas difficile à comprendre ; le type descend à la "douane" et repart dans l’autre sens, passant ses journées dans le train ; les flics qui patrouillent sur le secteur le tolèrent, peut-être même l’utilisent-ils.
Ces jours-ci, la sécurité est nerveuse, à mesure qu’on approche du troisième anniversaire des émeutes de novembre 2005. Les passagers de leur côté présentent de nets signes de fatigue ; d’ordinaire, quand ils se rendaient au travail ou en revenaient, leur allure n’était guère folichonne ; mais à présent ils semblent proprement exténués ; il est vrai que tout le monde, ici, a perdu plus d’une heure par jour dans les formalités de contrôle ; comme les patrons exigent toujours le même temps de présence, il a bien fallu récupérer quelque part. Résultat : ils dorment moins et ça se voit.
Fillioud regarde Kathleen, pense à Lotus, la contorsionniste, celle qui
triturait son corps à sa guise. Comme une poupée aux membres désarticulés, elle prenait des poses invraisemblables. Allongée, elle pouvait replier ses jambes sur son torse, leur imposer un demi cercle complet et joindre ses pieds au dessus de sa tête comme une vestale orientale ; elle s’offrait ainsi à lui dans une pose quasi religieuse et d’autant plus sacrificielle qu’elle était indifférente aux attouchements ; son plaisir, son seul plaisir consistait à dévisager son prédateur, son amant la pénétrant, les yeux écarquillés, dans une sorte d’effroi gourmand.

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Le mur donc progressa rapidement. Il était clair que l’affaire avait été soigneusement préparée dans les moindres détails. On apprit plus tard qu’une commission tripartite d’experts, français, israéliens et américains, était en place depuis longtemps, les Français s’étant montrés curieux des méthodes employés par leurs collègues dans des situations analogues. A la Noël 2007, un premier tronçon s’étendait de la porte de Pantin à la porte d’Aubervilliers ; pour l’été 2008, tout le nord est de Paris était ainsi protégé. Comme il n’y avait pas de petits profits, le bétonneur qui avait remporté le marché, et qui était par ailleurs le principal actionnaire de la station RTP, avait obtenu de pouvoir projeter en permanence sur l’interminable écran que formait le mur ses programmes. Ce qui présentait, accessoirement, l’ avantage de séduire, du moins dans un premier temps, une partie de la jeunesse, scotchée par cette anamorphose staracadémisée.

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Kathleen se fige . Le train arrive à la station Stade de France La douane est en effervescence. Sur les quais, gardes et chiens font les cent pas. Un grand cadran au mur donne non pas l’heure mais le chiffre des "illégaux" arrêtés dans les parages ces dernières vingt quatre heures. Une longue file d’individus est alignée le long de la station, bras et jambes écartés. Fillioud a entendu dire que des terroristes d’un genre nouveau étaient apparus ces derniers jours, des jeunes gens qui n’hésitaient pas à se faire exploser le long du mur ; l’un d’eux a même réussi, le week-end dernier, à endommager l’édifice sur plusieurs mètres du côté de la Villette ; ils se sont eux mêmes baptisés " les possédés". Les possédés ?! Le prof se dit que ces mômes au moins ont des lettres ; s’ils n’ont pas lu Dostoïevski , du moins en ont-ils entendu parler. "C’est déjà ça" se dit-il.
Il regarde Kathleen qui lui fait face, hiératique, offerte, désirable. Une violente bouffée libidineuse le traverse soudain. Il frappe au carreau du compartiment ; un flic le regarde ; le prof insiste, fait signe à l’autre de monter dans le wagon.
Kathleen, blême, se redresse, en état d’alerte. L’agent les rejoint ; le prof lui désigne l’élève :
  Cette jeune fille n’a pas de papier !
  Vous m’avez déjà fait le coup, capitaine !
  Mais cette fois, c’est vrai !
Le garde émet un sourire fatigué, hausse les épaules et repart sur le quai d’où il continue de gronder Fillioud, gentiment.
Le prof n’est pas très fier de lui mais il doit reconnaître qu’il aime ça, ce petit coup de pression sur les filles qu’il aide à passer le mur, ce chantage auquel elles ne s’attendent pas, cette douche glacée ; c’est facile, sadique sur les bords mais l’effet est garanti ; elles sont si surprises, si tétanisées, si interloquées qu’elle deviennent illico une compagne soumise, une victime toute dévouée à leur maître et sauveur.
Pourtant, en fixant Kathleen, Fillioud se dit qu’avec elle, ça ne marchera pas forcément aussi facilement.

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L’agence "Travel-plus" s’était spécialisée dans le "tourisme d’ingérence", concept vaguement inspiré des idées de Bernard Kouchner, qui consistait à organiser des randonnées dans les lieux chauds de la planète, de Bagdad à Kaboul, de Gaza au Darfour, la journée au front, le soir dans les palaces. Tout naturellement, cette agence proposa, l’été 2008, un périple intitulé "Derrière le mur". Des pubs pour l’expédition s’affichaient dans les médias, vantant cette descente dans "le 93 comme vous ne l’avez jamais vu".
Le départ se faisait gare du nord, avec passage de la "douane" en RER, sortie gare d’Epinay, poursuite du voyage en 4x4 à travers plusieurs cités, visite de caves, café pris chez l’habitant (selon les disponibilités) ; après un déjeuner rapide dans un Macdo, les excursionnistes étaient invités à faire un tour à la chambre correctionnelle du Tribunal de Grande Instance du département où on avait prévu, à leur intention, une suite de procès pittoresques et rondement menés par des magistrats ricanants et expéditifs. Défilaient des cohortes de cas sociaux, d’aigrefins divers, de pauvres bougres, de sans papiers, de syndicalistes aussi, les bons jours. Emotion garantie, paraît il. En fin d’après midi, le retour était assuré en hélicoptère et on terminait la journée au restaurant de l’Espadon au Ritz. L’idée avait tout de suite beaucoup plu et attira une clientèle friquée. Il faut dire que la journée revenait à 3000 euros, repas du soir non compris. "Travel-plus" assurait avoir surtout affaire à des touristes étrangers fortunés ; on disposait même de premières statistiques faisant état de 40% d’Américains, 12% de britanniques, 10% de moyen-orientaux et 10% de Russes

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Le train repart. Au delà du mur, on peut déjà apercevoir le Sacré Cœur illuminé, compotier géant qui étale sa laideur versaillaise au sommet de Montmartre.
Blafarde, Kahtleen s’est repliée sur la banquette, comme si elle avait soudain très froid. Ramassée comme un ressort trop comprimé, elle murmure, la voix tranchante :
  Il vous a appelé capitaine…
  Ah ? C’est vrai ?
  Vous foutez pas de moi !
  Hé bien, tu sais maintenant…
  Je sais quoi ?
  Je suis flic.
  …
  Un cogne, un poulet, un bourre, une vache, un condé, ça va ?

LE Rer arrive à la hauteur du mur, interminable écran où se répète à l’infini les mêmes images, celles des actualités télévisées de la RTP. En l’occurrence il s’agit d’un reportage représentant l’intérieur de leur propre wagon . En effet, une patrouille de miliciens est montée dans le convoi lors du dernier arrêt, accompagnée d’un cameraman de la chaîne ; cette télé a reprise une technique de reportage expérimentée en Irak auprès des troupes américaines et transformant le journaliste en soldat.
Le groupe des agents et de l’opérateur télé parvient à la hauteur de Fillioud et de Kathleen. Leur deux visages, dupliquées à perte de vue, occupent instantanément le mur-écran.
Tout alors va très vite. Kathleen écarte son manteau, découvre sa taille bardée d’explosifs. Elle actionne le détonateur alors que la caméra fixe la mine déconfite du prof, une image qui va passer en boucle toute la soirée sur RTP, inexpliquablement.



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