Madagascar

Le zoo
Ou
Faut les comprendre

Gérard Streiff

Tananarive, 1980

Je reconnais le professeur installé au fond de la salle à manger de l’Hôtel des deux collines. Le professeur Boiteau. Pierre Boiteau. Grand, imposant, un large visage, une barbiche fournie, l’air affable, l’anthropologue offre une belle figure de savant. Je me présente. Des amis communs lui avaient signalé mon passage. Je devais interviewer une personnalité malgache. Laquelle se faisait désirer. Je poirotais depuis plusieurs jours à l’hôtel, attendant un coup de fil qui n’arrivait pas et hésitant à m’éloigner du téléphone.
Boiteau avait la réputation d’un saint, un saint laïc, généreux, semblant avoir fait le don de sa vie au tiers monde. Pendant le déjeuner, j’apprends qu’il avait été le maître d’œuvre ou le grand conseiller du Zoo de Tananarive, une institution renommé dans tout l’Océan Indien. Il serait heureux, dit-il, de me le faire visiter. Je ne pouvais pas rêver meilleur guide.

Il me donna rendez-vous en fin d’après midi devant l’entrée principale. Il faisait encore très lourd ; je n’avais aucune expérience des chaleurs de ces latitudes, je n’étais pas du tout habillé comme il fallait. Le ciel était bleu-gris, le paysage ocre. On remonta l’allée centrale, j’ai le souvenir qu’elle était pentue. De part et d’autre, de larges espaces, d’un are, entourés de fossés, délimitaient les emplacement de cages et de volières. Boiteau me parla ici des zébus, « symbole de richesse », plus loin des caméléons, ces « petits dragons » ; puis des lémuriens dont le célèbre « Aye-aye, daubentonia madagascariensis », une vraie curiosité avec ses oreilles de chauve-souris, ses soies de sanglier, ses mains de singe et sa queue de renard. Il y avait des cages pour des oiseaux de toutes les couleurs, des taotaonkafa ou cuculus rochii, des vangamena ou schetba rufa, des fitatrala ou copsychus albospeculari, des katakatra ou pterocles personatus, des hitsikitsika ou falco newtoni. Autant de noms incroyables qui semblaient sortis d’un inventaire dadaïste.

Boiteau le savant était intarissable. Il avait l’air d’avoir connu personnellement toutes ces créatures dont il parlait si bien. Le problème est que les espaces entre lesquelles on déambulait tous les deux étaient vides ! Complètement vides. Le néant. Les animaux du paradis n’étaient plus là, ils s’étaient fait la malle. Traînaient ici ou là quelques chats éthiques, des chiens errants. Un petit courant d’air chahutait un buisson sec qui rebondissait d’espace en espace. Le zoo était totalement, désespérément désert.
« Il faut les comprendre », disait le professeur.
Le pays venait connaître une période de graves pénuries, de disettes et d’embargos ; il n’avait plus les moyens d’entretenir l’établissement. Le lieu avait été laissé à l’abandon, les animaux étaient livrés à eux mêmes, certains avaient été vendus à de riches étrangers, d’autres capturés, probablement dépecés, mangés. Je crois me souvenir que toute la charpente, qui avait pu servir aux maisonnettes, aux cages, tout le bois avait également disparu. Débité, brûlé. Les infrastructures avaient disparu et devaient connaître une nouvelle vie, recyclée. On traversait une colline rouge et dévastée. Fitatrala, lémurieux et autres dragons n’étaient plus qu’un vague souvenir. Le sourire triste, la voix ferme, le professeur rappelait qu’à Paris, le Jardin des Plantes, du temps de la Commune, avait connu le même sort. Il me répétait : « Faut les comprendre… »



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