Note livre Emancipation

GS/ 02-07-07

EMANCIPATION
de Jean-Louis Sagot-Duvauroux

Ce texte (74p) a été écrit conjointement par Sagot-Duvauroux, homme de culture, et Xifaras, enseignant, philosophe.

En introduction, ils rappellent la force de l’aspiration à la liberté, les échecs rencontrés par cette aspiration ; l’état actuel de la liberté serait-il indépassable ? cela entérinerait « des déséquilibres vertigineux ». Des forces refusent « de déclarer close l’aventure de la liberté ».
Les auteurs notent que leur famille est le communisme ; bon passage sur le bilan communiste (p 3, colonne de droite) ; ils estiment que la notion de communisme « recouvre des réalités trop hétérogènes », qu’elle ne rassemble pas mais « peut être au mieux qu’un affluent d’un fleuve plus abondant ».
Ils disent encore : « L’histoire a infligé au terme de communisme des plis qui résistent au repassage ». S’il est légitime que des communistes « se lancent dans un énorme effort de récurage », on ne peut imposer ce terme aux autres forces d’émancipation humaine.
Bref le communisme (n’)est (qu’)un courant d’un mouvement plus ample : l’émancipation, terme qu’ ils défendent avec vigueur (p4) en l’associant au mot « alternative ».
Pour eux, les mots d’avenir sont : « émancipation, mouvement d’émancipation, alternative émancipatrice, émancipation solidaire » (4).
Ils évoquent la « dépression théorique » qui a marqué le mouvement communiste ces derniers temps ; ils y voient une forme de saine prudence ; ils redisent que « le mouvement communiste s’est trouvé placé devant cet enjeu : devenir autre chose que ce qu’il a été ou cesser de porter toute espérance politique ».
Ils expliquent le statut du texte : « le dessin d’un projet d’émancipation pour aujourd’hui », soumis au débat. « Chacun peut donc s’en emparer ». Via les réseaux. Sur internet. Pour « une mutuelle de pensée ».

Le texte lui-même se compose de deux parties.

Les « Six frontières d’émancipation » rappelle que « l’émancipation » est libertaire, égalitaire, solidaire et anti-capitaliste. (p7 le texte parle de « cinq » frontières, mais c’est une faute d’impression)
Ici, un bon développement (p 8) pour tordre le cou au mythe des « lendemains qui chantent ». Plutôt que de se projeter dans des temps futurs (et jamais atteints), les auteurs choisissent le terme de frontière, c’est à dire « la topographie d’un monde où déjà se partagent deux continents, celui de la contrainte et celui de la liberté ». Il y a là un peu moins de « magie » disent-ils mais aussi moins de « mots creux ».
Le texte explore six frontières, où il serait bon d’élargir le champ de la liberté :
• frontière entre la libre activité et l’activité contrainte (bon développement sur travail, temps de travail, aliénation par le travail, dépassement du salariat, nouvelle civilisation)
• frontière entre le libre accès aux biens et leur accaparement par certains (sur la marchandisation, la gratuité)
• frontière entre la libre jouissance et l’aliénation marchande (il y est longuement question de la propriété)
• frontière entre la liberté et la coercition (sur les dérives sécuritaires)
• frontière entre la libre association et l’aliénation à des pouvoirs hétéronomes (pour l’autogestion, la libre association)
• frontière entre la libre rencontre et les oppositions identitaires.(mondialisation, standardisation)
Un septième paragraphe est intitulé « En deça des frontières d’émancipation, le social ». (Une reflexion un peu rapide sur le social, le marché et l’émancipation).

La seconde partie est intitulée « Les conditions d’une émancipation effective ». Après la partie « quoi changer », ici on s’interroge sur le « comment changer ».
Les auteurs rappellent qu’ils sont « issus du mouvement communiste et toujours reliés à lui » ; qu’ils sont donc obsédés par « la dérive tyrannique » que connut le communisme et souhaitent « traquer méticuleusement toute trace de point de vue totalitaire dans les objectifs, dans les méthodes et dans les représentations de l’action politique ».
Ils critiquent non seulement le « sovietisme » mais aussi une approche trop occidentale, trop masculine de la révolution. (Le terme de révolution est quasi absent du texte et les auteurs s’en expliquent).
Ils détaillent cinq conditions pour l’action :
• un libre projet ( l’émancipation n’est pas la concrétisation d’une vérité de l’histoire mais un choix politique bien situé, concret)
• ici, maintenant, chaque fois que possible (pas question de longue marche vers une terre promise)
• des actions forcément multiples sur des rapports de force toujours hétéroclites (comme le dit le titre, l’important est la pluralité des rapports de force)
• se défaire de la religion de l’Etat (bonne reflexion sur l’Etat, la démocratie participative, le slogan capitaliste du moins d’Etat)
• le plus grand nombre et radicaliser la démocratie ( éloge de la démocratie, besoin de la pousser jusqu’au bout : l’autonomie)
• apprendre à être libre (conclusion, un peu « spiritualiste », de cette seconde partie sur le thème de la culture)

La conclusion (Codicille) est intitulé « Un progressisme post-prométhéen ».
Les auteurs s’interrogent sur la notion de progrès, en réaffirment la pertinence et plaident donc pour un « progressisme » ; mais dans le même temps, partant des exemples de Mandela et d’Antigone, ils estiment que la liberté a deux jambes, qu’elle est toujours à venir et toujours déjà là, de l’ordre de la responsabilité individuelle et du travail collectif, quantitatif ; ils plaident donc « en communistes » pour une « déviation du progressisme » : plutôt que le conflit entre intérêts opposés, ils choisissent « une humanité commune et réunie ».

Remarques :

Ce texte s’inscrit bien, de fait, dans le débat souhaité par les communistes dans la perspective de leur congrès extraordinaire.

Par bien des aspects, il s’agit d’un texte inventif, novateur, plein d’esprit, « rafraichissant » pour reprendre un terme qui y figure.

On se félicitera aussi de la posture très « citoyens du monde » qu’adoptent les auteurs, très critiques à l’égard de l’européo-centrisme (y compris révolutionnaire), très ouverts à la confrontation avec les autres cultures du monde, très alter-mondialistes.

Il s’agit d’un texte politique, d’une reflexion sur les pratiques politiques, sur la politique autrement bien plus qu’un travail théorique ; on pourra lui reprocher des faiblesses d’analyse, un certain moralisme, un angélisme, un spiritualisme (?) peut-être.

Le rapport au marxisme est incertain, à peine une évocation ici ou là ; on dirait que les auteurs ont confondu marxisme et marxisme léninisme et se détournent de l’un et de l’autre ; ce reproche leur aurait été adressé par Francette Lazard lors d’un échange à Espaces Marx ( solliciter son opinion ?).

On regrettera la façon dont les auteurs évacuent le terme (et la notion) de communisme, dès l’introduction. Au profit donc d’ « émancipation », les communistes devenant « les amis de l’émancipation ».



Site réalisé par Scup | avec Spip | Espace privé | Editeur | Nous écrire