Projet Théâtre

Guy Môquet
ou
Un automne 1941

Gérard Streiff

Théâtre/ Cognac/ 2008

Pièce en 7 actes pour 6 comédiens
 un récitant
 Guy Môquet
 Odette, la fiancée
 Suzanne, compagne d’Odette
 deux acteurs qui seront successivement Rino, le gendarme, Touya, Lecornu, l’abbé Moyon, Henri

DECOR

Intérieur d’une cabane du camp ; parois de planches avec fenêtre, coté jardin, une porte, au centre, paroi aveugle côté cour. Côté jardin, une étagère avec valise, harmonica, réveil... Un lit de chaque côté. Le local est divisé en deux, par une sorte de paravent, qui part de la droite de la porte et traverse en biais la scène. Les détenus hommes se tiendront côté jardin, les femmes côté cour.

Durant les actes 2 et 7, le plateau est dans le noir, la lumière se fait uniquement sur deux personnages : le gendarme et le sous-préfet (2) ; le récitant et une actrice (7)

PROLOGUE

La scène (et la salle) restent dans le noir
Bruits de camions qui stationnent, de coups de freins, de portes qui claquent, de pas précipités. Des exclamations en allemand, un chant (crié !), La Marseillaise. Cris : « pas de bandeau, non, pas de bandeau » ; d’autres : « vive la France », « Vive le parti communiste allemand », « À bas Hitler ».
Bruit de culasses, des ordres proférés en allemand, fracas de (100) détonations. Silence. Bruit de pas (crissement, on est dans une carrière de sable) puis un coup de feu : pas et coup de feu se répètent neuf fois. Piétinement et bruits de corps qu’on traîne. Croassements dans le lointain.

ACTE UN

Guy Môquet (=GM), Rino, le récitant, le gendarme

GM porte une couverture sur ses épaules. Il colle son visage à la fenêtre, marque son étonnement, puis tente d’écrire un mot sur la vitre, dessine un coeur (?) puis efface la buée d’un geste de la main, se frotte les bras pour se réchauffer.
Rino, venu du jardin, s’approche de la fenêtre

GM
T’as vu ? on dirait de la neige !

Rino
Il regarde
Non, c’est du givre.

GM
Oui, je sais bien... tiens, si j’avais une rédaction à écrire, je mettrais : « on avait posé pendant la nuit une immense moquette blanche sur le pré qui s’étendait devant les baraquements ».

Il sourit, un peu

Rino
Moi je trouve que ça donne un coup de propre, non ?

GM
Oui, t’as raison ; tu sais à quoi ça me fait penser ? au négatif d’une photo. Tout ce qui était noir hier, comme la cour pleine de boue, est tout blanc, et les baraques du coup sont devenues grises...

Rino
Ouais, peut-être.. (il s’ébouriffe les cheveux). Ce que j’ai mal dormi !

GM
Et moi, donc ! cette vache de dent m’a fait souffrir, je te dis pas... et puis, quand j’ai pu enfin m’endormir, c’était pour faire un rêve étrange, un rêve heureux et inquiétant à la fois. Je jouais avec Henri et Lucien, des potes de Paris, sur les "fortifs", du côté de la porte de Clichy, alors que tout près de nous paradaient des hommes en noir, casqués, harnachés, bottés, armés..., comme de gros insectes, des scarabées géants, si tu veux...

Rino
il écoute, opine, puis
Tu trouves pas que c’est calme ce matin !

GM
Oui t’as raison

Le récitant
Le camp a en effet, à l’aube du 21 octobre, un aspect inhabituel. La baraque où se trouvent les deux jeunes hommes, la numéro 10, est à une extrémité du site, à l’exact opposé de l’entrée avec son corps de garde et les installations où se tiennent les gendarmes. Les maisonnettes de bois, une trentaine, posées sur pilotis, sont à leur place, bien sûr, encadrant une vaste esplanade, un pré en fait ; elles forment une sorte de U majuscule, avec une dizaine de bâtisses de chaque côté de la lettre. La petite palissade qui sépare les baraques des hommes de celle des femmes, et plus loin la double rangée de barbelés qui clôture le camp sont toujours là, elles aussi, tout comme les miradors, surmontés de quelques corneilles. C’est bien le camp de Choisel, à l’entrée de Chateaubriant, que Guy et Rino retrouvent là ; depuis des mois, ils ont eu le temps d’en faire le tour, de se familiariser avec les cuisines et l’infirmerie, l’économat ou le lavoir, le mitard et les WC, et même la piste de sport. Et pourtant ce matin ce paysage présente un aspect inattendu.

GM
Il y a quelque chose qui cloche, non ?

Rino
J’ai trouvé !

GM
Quoi ?

Rino
C’est le silence ! t’entends ? on n’entend rien !

GM
Oui t’as raison

Rino
D’habitude, à cette heure, ça remue déjà, non ? il y a des portes de baraques qui couinent, il y a des bruits de casseroles, il y a des détenus dehors qui se saluent avec leur "bouteillon"

GM
Il y a des gendarmes qui gueulent

Rino
Exact ! il y a aussi les courageux qui font déjà leur gymnastique

GM
Mais ce matin, il y a rien de tout ça ! le calme plat ; les portes restent closes ; la cuisine est muette ; personne pour traverser la cour, les gardes se taisent, les sportifs se cachent.

Rino
Même les corbeaux évitent de croasser. C’est étrange, non ?

GM
C’est lourd, tu veux dire ! C’est comme si le camp faisait le mort !

Rino
Remarque, c’est vrai qu’on est consigné dans les baraques depuis hier soir

GM
Oui mais ça explique pas ce silence ; c’est vraiment pas comme d’habitude

Rino
A quelle heure on peut sortir ?

GM
9 heures.

Rino
Il est ?

GM
Il consulte un réveil sur l’étagère
Huit heure et demi.

Rino
ça fait plusieurs jours qu’il se passe plein de petits événements qui sont pas comme d’habitude, non ?

GM
Ouais : avant hier, on a eu la visite, bruyante celle-là, d’officiers allemands.qui ont fait le tour des baraques avec cette ordure de Touya .

Rino
Hier on n’a eu droit ni à la distribution de courrier ni à celle des colis.

GM
Et hier soir, à l’extinction des feux, t’as bien vu, ce sont les Allemands qui ont pris la relève des gendarmes pour garder le camp.

Rino
Même qu’il y en a un qui était super excité, il a tiré sur la baraque ; regarde, la balle a traversé les planches et s’est fichée dans la charpente.

GM
Je crois que c’est de ma faute

Rino
Pourquoi tu dis ça ?

GM
Je crois qu’il m’a entendu jouer de l’harmonica

Rino
Non, c’est un sadique, c’est tout, il a voulu nous faire peur, point.

Le récitant
Cette sorte d’immobilité qui fige le camp ressemble plus au calme d’avant la tempête qu’à un moment d’apaisement. Ce que les garçons ne savent pas, ce qu’ils ne peuvent pas savoir,
c’est ce qui s’est passé dans la soirée dans la cabane 19, là où sont rassemblés les leaders et les fortes têtes. Les détenus ont reçu la visite impromptu d’un gendarme. Ce dernier leur confiait un secret ; il avait bu pour trouver le courage de leur dire ce qu’il avait à dire.

Le plateau passe dans le noir ; projecteur sur le gendarme. Tendu, celui-ci parle vite, se répète :

Le gendarme
La résistance a abattu à Nantes un officier allemand ; les boches sont déchaînés ; ils ont décidé de fusiller cinquante otages. Dont trente de Choisel. demain !

ACTE 2

Le plateau reste dans le noir, projecteur sur Touya (strict costume de gendarme) et Lecornu (élégant petit-bourgeois qui serre contre sa poitrine un porte-documents)

Touya
un brin ma,niaque, ne cessant d’épousseter son uniforme,
s’adresse à Lecornu
L’ont bien cherché, non ?

Lecornu
il opine, ajoute :
ça va aller, aujourd’hui ?

Touya
ça va aller, ça va aller ! Savez, j’en ai vu déjà

Lecornu
Il sourit
Je connais votre itinéraire !

Touya
J’ai dirigé un camp, dans le Sud, où on parquait les « Républicains » (il grimace en disant le mot) espagnols. Alors, pensez.... N’empêche, ces gars aujourd’hui sont des marioles, des insolents. Faut les tenir ! Rien à voir avec les prisonniers d’avant, ceux de 39 ou de 40, des nomades d’abord puis les gens de "marché noir", des pensionnaires avec qui on pouvait toujours s’entendre. Maintenant, on n’a plus que des "politiques", des "résistants" comme ils disent. Voilà un mot, M. Lecornu, qui a le don de m’énerver, voyez vous. Résister ?! s’opposer ?!, désobéir ?! Ça sent le désordre, non ? Ils se disent communistes, syndicalistes, gaullistes, chrétiens ou rien du tout et ils se prétendent allergiques à l’occupant ou au Maréchal ! Ils ont toujours le mot France à la bouche. Mais permettez, je me considère aussi français qu’eux mais moi, je suis un Français raisonnable. Rai-so-nnable !

Lecornu
Je vous comprends, croyez le bien.

Touya
Les Allemands ont gagné la guerre, il n’y a pas à revenir là-dessus. Ce sont eux les chefs, maintenant. Non seulement il faut faire avec mais il faut les servir. C’est comme ça que je vois les choses et pas autrement, pas vrai ? et ceux qui jouent pas le jeu, hé bien, tant pis pour eux.

Lecornu
Tant pis pour eux, absolument.

Touya
Et dans le camp, y en a un paquet qui joue pas le jeu, croyez moi, des fortes têtes, des grandes gueules, des cadors. Il y a quelques semaines, j’ai fait mettre les plus fameux, les plus gradés, des élus, un député, des maires, tous des rouges, des communistes, des syndicalistes, des profs, des instits aussi...

Lecornu
Le Front Populaire, en somme.

Touya
Oui, voila, c’est ça ! Donc je les ai fait mettre dans une baraque à part, la 19. Disons que j’étais prévoyant ; je me disais que le jour où il faudrait sévir pour de bon, on aurait sous la main les meneurs. Il n’y aurait plus qu’à se servir.

Lecornu
Et ce jour...

Touya
...est arrivé, oui ! Ce jour est arrivé, monsieur le sous préfet.

Lecornu
Vous savez qu’Hitler, après la mort de leur lieutenant à Nantes, réclamait qu’on fusille 500 personnes. Il exagère, non ? Finalement, il y en aura 50. Dont 27 à Chateaubriant. Et on commencera donc par la cabane 19.

Touya
Absolument. On va aller les chercher, nommément, à la 19, J’ai pas encore vu votre liste définitive mais je crois qu’il y a parmi les 27 des détenus qui sont dans d’autres carrées. On les réunira tous dans une baraque vide, la 6 ; là, on les confiera aux allemands ; à eux de les exécuter.

Lecornu
Oui, oui, très bien

Touya
Pour hâter leur départ, on pourrait faire entrer dans le camp les camions allemands ; on laisserait les véhicules stationner juste en face de la baraque choisie, la 6. Tout cela devrait se faire sous haute surveillance.

Lecornu
SOUS HAUTE SURVEILLANCE, absolument.

Touya
Il reviendra aux Allemands de traverser Chateaubriant jusqu’à une carrière de sable, qui est à deux kilomètres à peine, où doit avoir lieu la mise à mort.

Lecornu, baissant la voix :
L’exécution est prévue en début d’après midi
Il ajoute fièrement :
Et moi j’ai la liste des fusillés ! ça représente des heures de négociations, vous savez. J’ai du en faire des allers et retours à la Kommandantur, pour voir le Kreiskommandant ; et j’ai passé un temps fou au téléphone avec le Ministre de l’intérieur en personne. Pierre Pucheu a tenu a dire son mot sur chaque nom, imaginez vous. Il m’a dit... Vous savez ce qu’il m’a dit ?

Touya
Non...

Lecornu
Il m’a dit : je veux aider l’Allemand à faire un bon choix. Pas question de prendre n’importe qui, il fallait leur désigner les plus dangereux et les moins chargés de familles. Croyez moi, je ne suis pas prêt d’oublier ce travail. Un ministre d’un côté, un Kreiskommandant de l’autre, fallait assurer, voyez vous...Et ma foi, je crois m’en être bien sorti. En toute modestie.

Touya
Je vois, je vois.

Lecornu
Comment le camp va réagir d’après vous ? Vous avez pris vos précautions, je suppose ?

Touya
Rassurez-vous, les gendarmes sont consignés, tout est prévu !
Je les connais, ces taulards. Capables de tout. Mais, je suis pas né de la dernière pluie, j’ai des oreilles qui traînent dans les baraques, voyez vous, et quelques prisonniers plus dociles que d’autres viennent me rapporter ce qui se dit dans les chambrées. Les autres les appellent les "tordus".

Lecornu ricane

Touya
Hé bien je sais que cette nuit s’est tenue une réunion, à la 19, avec quelques représentants d’autres baraquements. Ces détenus venaient d’être mis au courant des futures exécutions. Un gendarme, paraît-il, aurait mangé le morceau. Celui-là, si je lui mets la main dessus...Bref, ils ont été informés ; ça ne les a pas empêché d’organiser un dernier repas, figurez vous, après quoi ils ont parlé de la façon de se conduire, ce matin donc. Finalement, ils ont choisi de ne pas propager tout de suite la nouvelle pour ne pas paniquer les autres détenus puis d’opposer à l’exécution, je les cite, « le seul bien qui leur reste, leur dignité ».

Lecornu
Leur dignité ?! Pfff ! Foutaise ! Et pourquoi pas l’honneur, tant qu’on y est !

ACTE 3

GM, Rino

Rino regarde par la fenêtre, GM est assis sur son lit

Rino :
Tu vas voir qu’ils vont pas nous laisser sortir aujourdhui ! Regarde, il n’y a que le chien Kiki dans la cour, ce matin ! Ah, il s’en donne à coeur joie, l’animal ! Mais qu’est ce qu’ils mijotent, ces salauds ?! Alors qu’il fait beau, maintenant, zyeute un peu ce soleil ! Fait froid mais beau !

Il regarde GM

Tu écris encore à ta mère ! mais elle doit avoir une vraie collection de lettres de toi , ma parole ?!

GM
T’as raison. Figure-toi que depuis qu’ils m’ont arrêté, depuis près d’un an déjà, un an... ( il en reste rêveur), j’ai dû lui adresser quoi ? une centaine de lettres !

Rino
Une centaine ?!

GM
Je te jure ! j’aime écrire, mon vieux Rino, c’est comme ça. J’aime lui parler de tout et de rien. Là, ce matin, je la remercie pour son denier colis, avec l’épaule d’agneau, tu te souviens ? on se l’est partagé hier

Rino
Oui, un vrai régal, tu le lui diras de ma part

GM
Et puis je lui parle du temps qu’il fait, de mon mal de dent qui persiste, d’un petit coup de fatigue, ces jours-ci ; je lui demande encore de m’envoyer mon pantalon noir... Mais surtout, surtout, tu vois, j’ai l’impression de la soutenir avec mes lettres. Tu sais qu’elle déguste, la pauvre ! Mon père est en prison, je suis en prison, elle se retrouve toute seule avec mon petit frère. Alors j’écris pour qu’elle garde le moral, pour leur dire, à elle et au frangin, qu’ils ne sont pas seuls.

Rino
Faut dire que tu sais trousser les mots, toi, t’es un vrai poète, non ?

GM
C’est ça, fous toi de moi

Rino
Non, vraiment, je le pense, je te jure ; t’aimes les mots justes, les expressions bien senties, la petite musique des phrases, je me trompe ?

GM
Bin, comme tout le monde, non ?

Rino
Comme tout le monde, comme tout le monde... ?! en tout cas, moi, je sais pas faire ça ! tu joues avec les rimes, tu peux fabriquer des alexandrins sur n’importe quel sujet. Redis moi ce que t’avais écrit il n’y a pas longtemps à ton père...

GM
Il sourit, cherche, dit :
" Je veux mon cher Papa te faire savoir ici
Le juvénile amour que j’ai eu jusqu’ici
En celui à présent qui est bien enfermé
En toi mon doux papa que j’ai toujours aimé"

Rino
Génial ! c’est génial, je te dis, si, si ! bravo ! Et puis j’ai adoré ces vers où tu as mis en boîte Claude l’autre jour devant les filles, Monsieur l’étudiant de la Sorbonne faisait l’avantageux et tu l’as mouché, mon vieux ! Ouahhh... D’ailleurs, je connais ton texte par coeur tellement il m’a plu. Ecoute :
" Et Claude, ce zéro au regard séduisant
se trouve, parmi tous, le plus intéressant !
Mais pour l’être encore plus, il a fait un poème
Ce qu’il a voulu dire il ne le sait pas même !"

Ils rient tous les deux.

GM
Je ne savais pas que tu le connaissais !

Rino
Ha, mon vieux, qu’est ce que c’est bien envoyé ! et pis, pas méchant !

Le récitant
Rino sait tout de la vie de Guy et de sa famille. Ils en ont parlé si souvent tous les deux. Prosper, le père, Juliette, la maman, Serge, le petit frère. Leur appartement de la rue Baron, dans le 17è arrondissement de Paris. Sa jeunesse dans le quartier des Epinettes, du côté de Clichy, le chaudron de la Politique avec un grand P, dans lequel Guy tombe très jeune, sillonnant les manifs, bambin, sur les épaules de Prosper. Il faut dire qu’il a de qui tenir, Guy ! Son cheminot de père a été élu député communiste lors du Front Populaire, en 1936. Les usines en grève, les poings levés, les bals populaires et le goût de la victoire, les congés payés, c’était hier. Et pourtant cela semble si loin aujourd’hui, si incroyablement loin. Cinq ans qui ressemblent à un siècle, à une éternité.
Il y eut encore la solidarité avec l’Espagne, les collectes pour les Républicains abandonnés à leur sort, l’accueil des enfants de Madrid, les affrontements musclés avec les gosses de riches au lycée Carnot. Après, tout s’est déglingué si vite. Les gens se sont divisés, les patrons ont refait la loi, le temps du social était passé. "Plutôt Hitler que le Front Populaire" osaient dire certains. Un peu partout, les "bruns" paradaient. Et la guerre montra sa trogne. Prosper s’y opposa. Il fut arrêté, fin 39, par des Français, comme Guy d’ailleurs, et déporté en Algérie.

GM
Tu vois, quand mon père a été arrêté, je me suis dit, tout de suite : Guy, t’as pas le choix, tu dois le remplacer. Tu dois prendre la place de ton père. Continuer sa bataille. Pour tout le monde, t’es le "fils Moquet", alors...

Rino
Alors quoi ?

GM
Alors quoi, alors quoi....hé bien, dès l’été 40, un temps de grande débandade, non ?

Rino
Tu peux le dire

GM
Ma mère s’était réfugiée en Normandie mais moi, je suis revenu, en vélo, à Paris, aux Epinettes !

Rino
La suite, je connais aussi, organisation à quelques uns de groupes d’impression et de distribution de tracts, collage de papillons genre " A bas la misère" ou " Hitler, c’est la guerre", réunions maquillées en parties de football ou en déjeuners champêtres, au bois de Vincennes notamment, inscriptions à la craie...

GM
...sur le pont Cardinet

Rino
...contre le Maréchal…

GM
Arrête, tu vas me foutre le cafard !

Rino
Au contraire, moi, ça me remonte ! Et tu te souviens ?

GM
De quoi ?

Rino
Comment on lâchait les tracts !? nous, on jetait les feuilles à la volée, dans un square ou sur un marché qu’on traversait à toute allure à vélo, en s’assurant bien sûr qu’il n’y avait pas de policiers ni d’Allemands en vue,

GM
Ouiiii, pendant quelques secondes, ça formait comme un feu d’artifice de papier qui virevoltait et lentement retombait, s’affaissait. Les passants récupéraient en catimini ces nouvelles venues du ciel.

Rino
Et le coup de la planchette ?! Dans les cinés ?!

GM
On y prenait la parole lors des actualités filmées qui passent avant le film, pour dénoncer la propagande allemande mais le mieux, c’était la dispersion de tracts dans la salle ; on faisait ça à trois ; quelqu’un montait au balcon et, dans le noir, il posait sur le rebord un paquet de tracts sur une planchette au bout de laquelle pendait une ficelle ; il s’éclipsait, un copain, en bas, récupérait le fil sur lequel il tirait puis il s’éloignait à son tour ; les tracts s’envolaient, voltigeaient avant de s’éparpiller au milieu des spectateurs. Profitant de la confusion générale, on se débinait vite fait pour rejoindre le troisième larron qui attendait dehors avec les vélos…

les deux jeunes sont tout excités à l’évocation de ces souvenirs

Rino
Et après ?

GM
Et après, bin, on retrouvait les copines sur les fortifs

Rino
Taquin
Je le dirai à Odette !
puis, sérieux :
Ou on se faisait un petit match

GM
Ou on allait VOIR...un match ! A propos, Racing / Charleville, tu te souviens ?

Rino
L’été 36 ! Comment oublier ?!

GM
Exact. Quelle finale ! le stade Yves du Manoir de Colombes était plein à craquer. J’y étais.

Rino
Moi aussi. Et Charleville a failli gagner...

GM
Oui , mais il a seulement « failli », à un but près, tout de même ! ça fait une différence ?! Paris leur a mis un zéro !.

Rino
Mauvais perdant
Marqué de justesse !

GM
Marqué, c’est marqué, la justesse n’y change rien

Le récitant
Cent fois, les deux garçons se sont raconté ces épisodes de la vie d’avant, et ces souvenirs partagés les vengent un peu de leur inactivité forcée. Guy est interné depuis un an, arrêté par la police française à la gare de l’Est, en octobre 1940, sur dénonciation. Il a connu le dépôt puis les prisons de la Santé, de Fresnes et de Clairvaux, Le comble, c’est qu’il a été jugé, le 23 janvier 41, par le tribunal de première instance de la Seine et "libérée", en principe. En principe seulement...Le substitut du tribunal pour enfants écrivait alors au directeur de la prison où croupissait le garçon, lui intimant l’ordre de le "remettre à sa mère, en liberté surveillée. Exécution immédiate". Pourtant la sentence n’a pas été appliquée et l’enfant est resté emprisonné puis transféré comme "interné administratif".

Rino
Au fait, t’as couru dimanche ?

GM
Non seulement j’ai couru, mais j’ai même fait un 60 mètres en 7 secondes 6 !

Rino
Ha, oui, ça me revient ?!

GM
Oui, c’est ça, va, fais comme si tu ne t’en souvenais pas, peut-être ! En tout les cas, moi, j’ai pas oublié que t’étais loin derrière....

Rires et moqueries.

ACTE 4

Odette et Suzanne

Intérieur de la même cabane mais les actrices se trouvent de l’autre côté de la porte (et du paravent), côté cour donc.
Odette, debout sur un banc, regarde, par une fente dans la cloison, ce qui se passe dans le camp ; elle parle avec Suzanne.

Odette
Suzanne, Suzanne, ils arrivent !

Suzanne
Qui ça ?

Odette
Des gendarmes, plein de gendarmes, ils sont casqués, des Allemands aussi, c’est un vrai branle bas de combat !

Suzanne
Raconte !

Odette oublie de répondre, captivée par le spectacle de la cour

Suzanne
Odette, raconte, non ?!

Odette
Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? il y a une vraie meute qui descend au pas de charge ; les gendarmes se déploient le long des baraquements, un homme stationne tous les dix mètres. un devant chaque baraque, la nôtre aussi. (Elle baisse la voix) Il est juste de l’autre côté de la porte. (Elle retrouve sa voix normale) Et les autres, ils font quoi, là ?

Suzanne
Quoi ? quels autres ?

Odette
Les SS ! ils installent un fusil mitrailleur au milieu de l’esplanade, à la hauteur de notre baraque,

Suzanne
Alors ?

Odette
Ils font pivoter l’arme, elle peut tenir en joue tout le camp

Suzanne
Et pis ?

Odette
Rien, ils attendent, maintenant, tous attendent.
(elle gesticule un peu, s’impatiente de ne rien voir de nouveau, puis change de sujet tout en continuant de regarder vers la cour)
Tu te souviens quand on est arrivé ?

Suzanne
Où ?

Odette
Où, où ? Bin, ici, au camp, bien sûr ! moi, je m’en souviens bien (pause) ; on est arrivé de nuit ; cette baraque était vide mais... sur les tables, il y avait des boîtes de conserves...

Suzanne
Oui !! remplies de marguerites des champs, un cadeau des hommes !

Odette
(qui se retourne de temps en temps vers sa compagne)
Et le lendemain, au réveil, la surprise ! bien sûr, c’est un camp avec matons et compagnie mais nous qui venions de la prison de La Roquette, un vrai mouroir là-bas, où on s’entassait les unes sur les autres dans des cellules étroites, crasseuses, ça nous a changé un tantinet. Toute cette lumière, toute cette verdure, ce plein air.
ces vergers, ces pommiers !

Suzanne
Et puis la découverte du camp, son organisation , ça aussi, c’était une surprise ; voilà des détenus, les politiques surtout, qui ont su imposer à la direction un certain rythme. Il y avait trop de prisonniers, on est combien ici ? 600 ? 700 ? et pas assez de gardes. Résultat : l’administration n’était pas en mesure de gérer l’intendance. Alors les internés ont pris en main l’organisation des cuisines, de la salle d’eau...

Odette
De la buanderie...

Suzanne
... oui, de la buanderie. il y en a même qui s’occupent de la création et de l’entretien de massifs de fleurs !

Odette
Et pis ces cours, comme à l’école ?! Tous ces instituteurs, ces profs, ces docteurs qui nous font des leçons de français, de maths, de langues ! de gym ! étonnant, non ? tu te rappelles la tronche de ce dignitaire nazi qui était de passage quand il est tombé sur des prisonniers en train d’apprendre l’espagnol !

Suzanne
Paraît même qu’il y a une radio cachée dans le camp mais ça, je l’ai jamais vu...

Odette
Et la petite bibliothèque ! et les petites fêtes, le dimanche !

Suzanne
Et la piste de sport ! les sprints !

Odette (enthousiaste)
Où Guy s’impose haut la main !

Suzanne
Ton Guy !

Odette
Mon Guy ?! c’est pas MON Guy ! mais bon, c’est vrai qu’il est gentil avec moi

Suzanne
Et toi avec lui

Odette
Quoi, moi avec lui ?

Suzanne
Toi, je te trouve très gentille avec lui

Odette
Pourquoi tu dis ça ? Je suis avec lui comme avec les autres, comme avec Rino, Roger, Claude, d’autres encore.

Suzanne
Mouais... Disons que quand on se retrouve, garçons et filles, de part et d’autre de la palissade, tu as surtout des yeux pour lui, non ?

Odette
Tu m’embêtes à la fin... même si

Suzanne
Même si quoi ?

Odette
Même si t’as pas tout à fait tort

Suzanne
En effet

Odette
(après un silence)
Tu sais ce qu’il m’a demandé ?

Suzanne
Guy ?

Odette opine

Suzanne
Non ?

Odette
" Est-ce que tu serais d’accord pour me faire un patin ?" qu’il m’a dit.

Suzanne
Non ?

Odette
Si

Suzanne
Et t’as dit quoi ?

Odette
" Si tu veux"

Suzanne
(pensive)
T’as dit : si tu veux ? C’est bien, oui, c’est bien...

Odette
Mais, Suzanne..

Suzanne
Oui ?

Odette
C’est quoi, un patin ?!

Suzanne
Me dis pas que tu sais pas

Odette
Je te jure !

Suzanne
Bin, c’est un baiser, ma grande, un patin, c’est un bécot, une pelle !

Elles se taisent
Odette regarde un temps dans la cour

Suzanne
Alors ?

Odette
R.A.S.

Suzanne
L’ambiance n’était pas franchement bonne, hier soir, autour de la palissade, non ?

Odette
Non, pas vraiment ! Faut dire qu’avec toutes ces rumeurs qui courent le camp...On parle de répression, de prise d’otages, de menaces pour ceux de la 19, Tu sais que j’ai croisé Tintin, hier, à l’infirmerie. J’étais avec Dédé, Dédé de Pantin. Il nous a dit, Timbaud, de but en blanc : " Les filles ; si je meurs, je veux des œillets rouges sur ma tombe !"

Suzanne
Mais t’as rien dit, hier, en revenant ?

Odette
Non, on n’a pas voulu en parler, pour ne pas en rajouter, tout le monde avait l’air si inquiet. ( soudain, regardant vers la cour, elle sursaute) : Hola, hola, mais ça bouge....

Suzanne
Quoi, quoi, raconte, dis, qu’est ce qui se passe ?

Odette
ça bouge du côté de la direction ! Attends...oui, je vois Touya, dans son uniforme de parade et ses bottes cirées ! Il est accompagné d’un officier allemand et d’une cohorte de SS ; ils longent le grand mirador puis l’infirmerie et traversent l’esplanade. Touya tient quelque chose à la main, c’est une liste. Ils traversent la cour, ils vont droit vers ...

Suzanne
La 19 ?

Odette
Oui ! La 19. Voilà, ils y sont. Touya fait ouvrir la porte, il procède à un appel. Tu l’entends ?

Suzanne
J’entends rien, non. Tu vois des détenus ?

Odette
Oui. J’en vois qui passent la porte, attends, je vois Charles Michels, Jean-Pierre Timbaud, Jean Poulmarch, d’autres… Ils sont une quinzaine à sortir. Ils ont tous l’air calme. Les soldats les encadrent. Tout le groupe, prisonniers et militaires, repart, vers... vers la 7.

Suzanne
Et puis ?

Odette
A la 7, ils ont appelé cet instit de la région d’Orléans, tu sais celui qui parle si bien de la nature, des oiseaux.

Suzanne
Maurice, Maurice Tellier (?)

Odette
Oui... Oh, non !
Elle se tend, regarde avec passion, reste silencieuse

Suzanne
Quoi ? qu’est-ce qu’il y a ? pourquoi tu te tais ?

Odette
Ils sont devant la baraque 10 !

Suzanne
Elle met sa main devant la bouche

Odette
Guy ?! ils font sortir Guy !

ACTE 5

GM, L’Abbé Moyon

Il y a, au début de l’acte, un certain brouhaha dans la baraque ; on imagine la présence de plusieurs dizaines de personnes ; le bruit va decrescendo
Les deux acteurs ne communiquent pas entre eux ; l’abbé s’adresse au public alors que GM lit la lettre (les lettres) qu’il écrit.
Les mettre alternativement en lumière ( ?)

L’abbé Moyon
Les 27 otages ont été rassemblés dans la baraque n°6 ; le sous-préfet Lecornu vient de leur annoncer leur prochaine exécution et de les inviter à écrire une dernière lettre à leur famille ; chacun s’est vu remettre du papier, une enveloppe, un crayon ; abbé d’un village voisin, j’ai été sollicité pour assister les condamnés ; je remplace au pied levé le curé de Chateaubriant qui a refusé de venir, j’ignore pourquoi..

GM
Il écrit et lit tout haut :
" Ma petite maman chérie, mon tout petit frère adoré, mon petit papa aimé, je vais mourir !"

L’abbé Moyon
Je sens bien que ma venue peut choquer les détenus ; elle signifie l’imminence de leur mort. Et puis tous ces hommes ne partagent pas vraiment mes idées. Alors j’ai demandé le silence ; je les ai assurés que je n’étais pas venu pour forcer leur conscience ; je suis prêtre, certes, mais j’ai surtout accepté d’être là pour partager leurs dernières heures, les aider dans le sacrifice qu’on exige d’eux, témoigner aussi de la sympathie des gens de la ville avec leur cause.

GM
" Ce que je vous demande, à toi en particulier, petite maman, c’est d’être très courageuse. Je le suis et je veux l’être autant que ceux qui sont passés avant moi."

L’abbé Moyon
Je termine ma petite intervention en leur disant que je suis à leur entière disposition pour recevoir leurs lettres, leurs commissions, leurs dernières recommandations. Des détenus me remercient.

GM
" Certes j’aurais voulu vivre. Mais ce que je souhaite de tout mon cœur, c’est que ma mort serve à quelque chose."

L’abbé Moyon
Je remarque vite au sein de ce groupe un très jeune homme, le benjamin des condamnés, à l’évidence, appliqué à écrire sa missive. Autour de lui, les détenus écrivent comme ils peuvent, les uns assis sur les rares bancs du carrée, d’autres griffonnent sur leurs genoux, d’autres encore, debout, s’appuient sur la cloison. Certains semblent éprouver du mal à mettre en mots leur épouvantable destin.

GM
« Je n’ai pas eu le temps d’embrasser Jean, j’ai embrassé mes deux frères, Rino et Roger. Quant au véritable, je ne peux le faire, hélas !"

L’abbé Moyon
La porte de la chambrée vient de s’ouvrir ; est entrée une détenue, Léoncie Kérivel, épouse d’un des otages, un marin breton ; elle a été autorisée à rencontrer brièvement son homme. Le couple s’est isolé.

GM
" J’espère que toutes mes affaires te seront renvoyées ; elles pourront servir à Serge qui, je l’escompte, sera fier de les porter un jour."

L’abbé Moyon
La dignité de ces hommes, leur droiture m’impressionnent ; j’y vois comme une tension des âmes

GM
"A toi, petit papa, si je t’ai fait ainsi qu’à ma petite maman, bien des peines, je te salue une dernière fois. Sache que j’ai fait de mon mieux pour suivre la voie que tu m’as tracée"

L’abbé Moyon
Par la fenêtre, je vois le lieutenant Touya qui bavarde avec les Allemands. Je ne devrais pas dire ça mais je le trouve obséquieux.

GM
" Un dernier adieu à tous mes amis, à mon frère que j’aime beaucoup. Qu’il étudie bien pour être plus tard un homme."

L’abbé Moyon
Un soleil éclatant, un éblouissant soleil d’automne, vient de faire miroiter les vitres, et lever les regards ; cette lumière est comme un appel insolent à la vie, comme une provocation pour ces hommes..

GM
" Dix-sept ans et demi ! Ma vie a été courte ! Je n’ai aucun regret si ce n’est de vous quitter tous. Je vais mourir avec Tintin, Michels. Maman, ce que je te demande, ce que je veux que tu me promettes, c’est d’être courageuse et de surmonter ta peine."

L’abbé Moyon
Le jeune homme est en train de terminer son mot. Certains de ses compagnons, qui avaient fini avant lui, écrivent à présent, au crayon, des messages sur la cloison même, à destination des détenus qui restent.

GM
" Je ne peux en mettre davantage. Je vous quitte tous, toutes, toi maman, Séserge, papa, en vous embrassant de tout mon cœur d’enfant. Courage ! Votre Guy qui vous aime. "

L’abbé Moyon
Le garçon griffonne ensuite une seconde lettre, plus courte.

GM
" Ma petite Odette, je vais mourir avec 26 camarades, nous sommes courageux. Ce que je regrette est de n’avoir pas eu ce que tu m’as promis. Mille grosses caresses de ton camarade qui t’aime. Guy. Grosses bises à Marie et à toutes. Mon denier salut à Roger, Rino (la famille) et Jean Mercadier"

L’abbé Moyon
Puis il va imiter ses compagnons et écrire sur la cloison.

GM (écrivant)
" Vous qui restez, soyez dignes de nous, les vingt-sept qui allons mourir."

L’abbé Moyon
Les lettres écrites, les messages confiés aux cloisons, les hommes peu à peu se regroupent. Certains m’interrogent ; ils veulent savoir pourquoi on va les fusiller ? Où ? quand ? Comment ? En fait, je n’en sais rien ! Que dire ? Je ne veux pas par des mots maladroits troubler leur détermination.
L’un d’entre eux, celui qui semble fédérer tous ces hommes, et qu’ils appellent Tintin, me dit alors : " On n’a pas vos idées, l’abbé, mais on partage un même amour de la France et notre sacrifice sera utile, comme celui de vos martyrs, jadis."
Et ils entonnent tous la Marseillaise.

Ce chant va servir de fond sonore pour la fin de cet acte et l’ouverture du suivant.

GM
" Je laisserai mon souvenir à l’histoire car je suis le plus jeune des condamnés."

L’abbé Moyon
Un des détenus, Jules Auffret, explique à ses compagnons comment ils allaient mourir : en refusant de se faire bander les yeux et en criant " Vive la France !" " Mort à Hitler" ajoute une voix.
Touya revient alors dans la chambrée :
" Allons, c’est l’heure !", dit-il. Léoncie Kérivel l’interpelle en montrant le garçon : " Je n’ai que mon homme, fusillez-moi à la place de ce gosse." Le lieutenant hausse les épaules.

ACTE 6

Mêmes dispositions qu’à l’acte 4

Odette, Suzanne

Elles crient l’hymne plus qu’elles ne le chantent ; des échos de la chanson viennent du camp.

" Aux armes, citoyens ! Formez vos bataillons !"

Suzanne
Alors ?

Odette
toujours scotché à un interstice dans la paroi :
Il y a trois camions allemands, des camions bâchés, qui stationnent près de la 6 ! Des SS, casqués et armés, forment une haie depuis la baraque jusqu’aux véhicules... Ah, voilà la porte qui s’ouvre, ils sortent !

Les échos de la Marseillaise qu’on entendait encore un peu jusque là cessent, le camp est soudain totalement silencieux

Suzanne
C’est qui ? tu les reconnais ?

Odette
C’est Charles Michels ; le député ! Des gendarmes le fouillent, ils vident ses poches, ils lui mettent des menottes. Il parle. Tu l’entends ?

Suzanne
Non.

Odette
Il vient de dire : " Vous verrez comment meurt un député français !" Et voici Tintin. Oh, mon Dieu !

Suzanne
Quoi, quoi ?

Odette
Il défie Touya ! " Je ne suis qu’un ouvrier mais ma cotte est plus propre que ton uniforme !" dit-il ou quelque chose comme ça ; il lui crache au visage !

Suzanne
Et Touya, il fait quoi ?

Odette
Il sort son revolver..., il va abattre Timbaut ?! Non, il rengaine son arme, il a ravalé sa haine. Voilà Ténine, le docteur Ténine. Avec Guy !!

Suzanne
Oui ?

Odette
Ténine crie. (Un silence). " C’est un honneur pour un Français de tomber sous les balles allemandes mais c’est un crime de tuer un gosse !" et il montre Guy !

Suzanne
Et Guy ? il est là ?

Odette
Il regarde le docteur, il lui dit : " Laisse, Ténine, je suis autant communiste que toi !"....

Suzanne
Ils font quoi ?

Odette
Les neuf premiers otages viennent d’être conduits dans un camion. Ils chantent, tu entends ? La Marseillaise, le Chant du départ, l’Internationale. Des SS montent à leur tour dans le véhicule, ils redressent le hayon. D’autres détenus sont installés dans un second bahut. Oh ?! Oui, oui, salut, Pourchasse ! Salut Henri Pourchasse ! Salut ! Adieu !

Suzanne
Qu’est ce qui se passe ?

Odette
Henri Pourchasse sort de la 6, il regarde vers notre baraque, il lève ses mains entravées vers nous, il nous fait un signe d’adieu. Salut, Pourchasse, salut !

Suzanne
Il sait bien qu’on le regarde, qu’on le voit. La porte et les fenêtres ont beau être fermées, on te voit, Pourchasse ! Adieu, frère, adieu, camarade !

Odette
Il part avec les derniers prisonniers, on les hisse dans le troisième camion. L’officier allemand s’installe dans une voiture en tête du convoi. Des gendarmes semblent figés. La Marseillaise repart une nouvelle fois des camions...

Elles recommencent à crier/chanter.

Odette
Le cortège sort du camp. Mais... des portes de baraques s’ouvrent, des prisonniers apparaissent, ils courent vers les barbelés. Pour accompagner les 27,.Et nous ? Allons-y, sortons aussi.

Les deux filles se retrouvent devant la porte, l’ouvrent, de force ; les chants, criés comme des mots d’ordre, venus de tout le camp s’imposent.

ACTE 7

Le récitant, Henri

Le récitant
En fin d’après midi, les détenus se réunissent dans la cour ; l’un d’eux, Henri Gautier, demande une minute de silence puis il donne la liste :

Henri
(il énumère lentement)
Charles Michels, Jean-Pierre Timbaud, Jean Poulmarch, Titus Bartoli, Henri Barthélémy, Jules Vercruysse, David Emile, Claude Lalet…

Le récitant
A chaque nom, quelqu’un dans l’assistance répond "Fusillé !" ou "Mort pour la France !". Pour ces détenus, cette farandole des morts rappelle des silhouettes connues, celles du syndicaliste parisien, du vieil instituteur, du cheminot retraité, du jeune dentiste, de l’étudiant à la Sorbonne…

Henri :
Désiré Granet, Maurice Gardette, Charles Delavacquerie, Jean Grandel, Henri Pourchasse, Edmond Lefèvre, Julien Le Panse, Jules Auffret, Victor Renelle…

Le récitant
Défilent ainsi l’élu parisien et l’imprimeur de Montreuil, le métallo d’Ivry si facétieux et l’ingénieur chimiste, le maire de Gennevilliers et l’amateur de théâtre, le doux géant et l’instit qui parlait si bien des oiseaux,

Henri :
Maurice Ténine, Antoine Pesqué, Eugène Kérivel, Pierre Gueguen, Marc Bourhis, Raymond Laforge, Maurice Tellier, Huynh-Khuong An, Maximilien Bastard, Guy Môquet

Rideau
FIN



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