Daeninckx/Jeunesse

Projet d’article pour La Revue du Projet
Mars 2017

Didier Daeninkx et la littérature jeunesse
Une écriture plus métaphorique
Par Gerard Streiff

Didier Daeninckx accède à la littérature jeunesse un peu par hasard, et un peu aussi grâce à Charles Pasqua. C’est toujours un peu difficile de repérer le début d’une histoire mais on dira que si Daeninckx est devenu écrivain, c’est à cause de Charonne. En 1962, il a treize ans, habite Aubervilliers ; et une des victimes de Charonne, une militante communiste, est une voisine et amie de sa mère.
Adolescent, il prend l’actualité politique, la guerre d’Algérie, en pleine figure.
Plus de vingt ans plus tard, en 1984, le polar (adulte) qui assure durablement sa notoriété s’intitule « Morts pour mémoire ». Il y évoque, en arrière plan d’une histoire romanesque criminelle, la manifestation réprimée dans le sang des Algériens d’Ile de France, un soir d’octobre 1961, à Paris.
Le livre, outre son écriture efficace et l’intrigue précise, a le culot et le mérite de parler de l’histoire de France avant les historiens français. Car le sujet jusque là était tabou. A sa manière, Daeninckx relance ainsi et redynamise le néo-polar des premiers maîtres des années soixante-dix, les Manchette, Vautrin et compagnie.
Or donc, j’en arrive au sujet de notre article, un jour, sur un marché d’Aubervilliers, une institutrice reconnaît l’auteur, lui demande s’il voudrait bien venir plancher devant ses élèves. Comment refuser d’autant qu’il s’agit de l’école où il fit ses classes ! Le voici embarqué pour ce qui sera probablement son premier atelier d’écriture. Le contact est bon, les élèves écoutent puis racontent à leur tour une histoire. Ils se mettent à écrire. Tout cela se fait de manière pragmatique. Un livre prend corps ; il s’intitulera « La fête des mères » et fera scandale.
Il s’agit d’un hold-up dont un enfant est témoin ; celui-ci reconnaît un objet familier sur le voleur et il réalise que le gangster est son père ! Lequel, avec l’argent mal acquis, pourra enfin réaliser les rêves de la famille.
Une petite histoire dont la prétention morale est limitée. Mais elle déclenche quasiment un scandale d’Etat. On était au temps où Charles Pasqua jouait les pères fouettards, les redresseurs de tort, les gardiens de l’ordre. L’ouvrage de Daeninckx est montré du doigt par le ministre de l’Intérieur de l’époque, il est exposé dans des lieux publics comme preuve de l’état de dépravation sociale, des ligues de bonne vertu s’agitent, etc. Daeninkx connaît soudain cent fois plus de problèmes, et de polémiques, avec ce petit opus pour enfants qu’avec ses livres adultes, pourtant sulfureux.
Une manière inattendue de mesurer la force de la littérature jeunesse, les batailles dont elle est l’enjeu. Résultat : Daeninckx va devenir, désormais, un fervent pratiquant de ce mode d’écriture.

La production « Jeunesse » de Didier Daeninkx est imposante. On comptabilise plus d’une vingtaine de récits, qui lui vaudront, à l’égal de ses polars adultes, la reconnaissance des lecteurs, petits et grands, enseignants et parents, et des institutions aussi, puisqu’il a été moult fois primé dans cette discipline ( le Goncourt jeunesse entre autres).

Les sujets abordés sont nombreux, variés, avec toujours le même souci de placer au centre de l’histoire, quel que soit l’époque ou le contexte, la figure d’un ou d’une jeune ado – il s’agit, je crois, le plus souvent d’une jeune héroïne- , auquel (à laquelle) le lecteur (la lectrice) s’identifiera.

Les guerres , et les moments de crise qu’elles suscitent, les choix immédiats à faire dans ces circonstances exceptionnelles (résister ? se résigner ? obéir ? désobéir ? ) sont un des premiers thèmes de ces récits.
On pense par exemple à « Il faut désobéir » (2002, la France de Vichy), « Un violon dans la nuit « ( 2003, les camps), « Missak, l’enfant de l’affiche rouge » (2009), « Avec le groupe Manouchian » (2010), « Maudite soit la guerre » (2014) ou encore « Papa, pourquoi t’as voté Hitler ? » (2016)
Le temps de la Commune – et de la guerre de 1871 - entre aussi dans cette catégorie : « Louise du temps des cerises » (2012)

Mais les plaies des guerres coloniales sont aussi largement traitées tout comme la persistance du colonialisme –avec un intérêt particulier pour la Nouvelle Calédonie : « Nos ancêtres les Pygmées »(2009), « L’enfant du zoo » (2004), « Mortel smartphone » (2013), « La couleur du noir (1998), « L’esclave du lagon » (2014) ou « La vengeance de Reama » (2016)
On retrouve ici la problématique du début de notre article, le traumatisme de la guerre d’Algérie . C’est un des sujets majeurs mis en scène par l’auteur.
C’est le cas par exemple de « Le Chat de Tigali » (1999), un grand classique du genre, « Mon maître est un clandestin » (2010) ou « La prisonnière du Djebel »,

Avec la guerre, les colonies, c’est l’étranger, la figure de l’étranger, de l’Autre – donc le racisme ou l’accueil, les discriminations ou la solidarité- qui est l’objet de plusieurs romans :
« Viva la liberté » (2004), « A louer sans commission » (2010) ou « Galadio » (2010)
Mentionnons encore un récit difficile à classer, « Une oasis dans la ville » sur trois jeunes, un jardin, des dealers et une utopie urbaine en gestation.
Enfin, à venir, en septembre prochain, « Une ombre dans la jungle » ou les aventures d’une ado dans le bidonville de Calais.

ENCADRE 1
BIBLIOGRAPHIE

RUE DU MONDE
Il faut désobéir », 2002
Un violon dans la nuit, 2003
Viva la Liberté, 2004
Nos ancêtres les Pygmées,2009
Mon maître est un clandestin, 2010
Louise du temps des cerises,2012
L’enfant du zoo,2004
Missak, l’enfant de l’affiche rouge, 2009
Maudite soit la guerre, 2014
Papa, pourquoi t’as voté Hitler,2016

SYROS
Le chat de Tigali, 1999
La fête des mères, 1986

OSKAR
La prisonnière du Djebel
Mortel smartphone (2013)
Avec le groupe Manouchian (2010)

Gallilmard
A louer sans commission (2011)
La couleur du noir (1998)

Larousse
Galadio (2010)
Une oasis dans la ville (2013)
L’esclave du lagon (2014)
La vengeance de Reama (2016)
Une ombre dans la jungle ( septembre 2017)

ENCADRE 2

Didier Daeninkx et l’écriture pour la jeunesse

Vous sentez- vous plus responsable quand vous écrivez pour la jeunesse ? Écrivez-vous différemment ?

Non, je ne me sens pas plus responsable. Oui, mon écriture est différente, c’est évident. Pas mal de gens que je rencontre autour du monde de l’enfance me disent « Vos bouquins sont compliqués, leur structure, retours en arrière, vocabulaire, construction... » Mais c’est ma manière et ça a l’air de passer, Le Chat de Tigali qui est presque devenu un classique contemporain le montre. La principale différence que je vois, quand j’écris pour Syros ou Rue du Monde, c’est que mon écriture est plus métaphorique et beaucoup plus poétique. Des problèmes que je résous par les dialogues ou d’autres procédés dans mes livres pour adultes, là je les résous par un autre travail sur le langage. C’est aussi en partie le résultat de mes souvenirs de mes lectures enfantines. Les livres lisses n’ont pas laissé de trace, les livres où il y avait d’un seul coup irruption d’incompréhension, d’inconnu sont ceux qui sont restés ; des livres compliqués, des phrases sibyllines, des mots dont on se demande ce qu’ils veulent dire… Le mystère n’est pas simplement dans l’intrigue, il est aussi dans les mots, les phrases, la langue. C’était pour moi un bonheur de découvrir l’Inde, Madagascar ou d’autres contrées par des contes et légendes où apparaissaient des mots pratiquement imprononçables pour le gamin que j’étais. À l’occasion de ces lectures, je découvrais, et je pense que les lecteurs d’aujourd’hui ne sont pas différents. Il est incompréhensible que l’on retraduise, que l’on modifie des classiques comme Le Club des cinq sous prétexte de les rendre plus accessibles (on supprime le passé simple) et de les moderniser (les héros ont des portables mais, comme le boulot est vite et mal fait, ils cognent toujours à la porte d’une ferme pour demander s’ils peuvent téléphoner !). La structure de la phrase s’appauvrit (sujet-verbe-complément) dans un pseudo besoin de se mettre au niveau supposé des enfants lecteurs. En fait avec cinq cents mots on peut faire le journal de midi de TF1 et l’œuvre de Simenon. Tout dépend des mots et de l’usage qu’on en fait… Regardez ce qu’on peut faire avec moins de dix notes !

Propos recueillis par Gégène /site Internet Librairies sorcières



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