Idées/Revue du Projet/juin 2017

Une jeunesse paupérisée, engagée, décriée

La Revue du Projet a consacré un fort beau dossier à la Jeunesse ( septembre 2016, n°59). On se propose ici de poursuivre un peu ce travail en mentionnant quelques études récentes et en tentant de décoder, derrière un « jeunisme » d’apparat, un air-du-temps globalement « anti-jeunes ».

L’image sociale des jeunes en cette année 2017 est paradoxale. D’un côté il y a dans l’air un « jeunisme » permanent, envahissant ( dans le commerce, les médias, la mode, une certaine actualité économique version start-up, etc...) qui donnerait vraiment l’impression que cette catégorie a la cote. C’est le jeune consommateur qu’on caresse. Et c’est le public que vise Macron.
Dans le même temps, pour nombre de médias, les jeunes cumuleraient bien des tares, et seraient volontiers assimilés à une classe dangereuse. C’est le jeune citoyen qu’on vilipende.
Ce sont souvent les mêmes qui véhiculent ces deux topos, pleins de mépris ou/et d’ignorance.
Dans le même ordre d’idées, le discours dominant oscille entre plusieurs visions caricaturales : le jeune de 2017 serait de la « génération Bataclan », amoureux de Sting et volontiers nostalgique (?) des années 70 – une rhétorique que l’on retrouve volontiers dans les colonnes de Libération. Alors que la droite, elle, joue au père fouettard.
Cette droite est très en pointe dans l’entreprise de culpabilisation de la jeunesse. Aux éditions du Cerf, par exemple, Alexandre Devecchio, dans « Les nouveaux enfants du siècle », force le trait en classant les jeunes en trois catégories. « Les islamistes, volontiers antisémites, (qui) détestent ce pays qui les a vus naître » ; une autre partie « qui a fait du Front National son parti fétiche » ; et une troisième, « contemptrice de l’idéologie libérale-libertaire, qui refuse d’un même bloc la croissance illimitée et le consumérisme, la théorie du genre, la procréation médicalement assistée et l’asthénie spirituelle de l’Occident moderne . » Fermez le ban.
« Le Figaro », sur deux pages, l’hiver dernier, tirait d’une enquête Insee, pourtant très riche, ce seul enseignement : « Insertion, délinquance : les difficultés de la jeunesse française. » Le journal ajoutait avec gourmandise : « En 2014, 630 000 Français de 10 à 24 ans ont été impliqués en tant qu’auteurs présumés dans une affaire pénale ».
Ainsi, non contente d’être socialement maltraitée par la société, la jeunesse se voit fustigée. Une double peine en quelque sorte.

Mais il existe des recherches récentes qui permettent de porter un regard plus pertinent sur la nouvelle génération. Ainsi cette étude, déjà citée, de l’INSEE (novembre 2016), intitulée « Travail, éducation, école : la jeunesse française sous la loupe de l’INSEE ». Différents angles d’attaque, donc, l’enseignement, le logement, la réussite scolaire, l’insertion sur le marché du travail (et non la seule question de la délinquance retenue par le journal de Dassault). On y apprend que les non-diplômés rencontrent de plus en plus de difficulté en matière d’emploi ; que les jeunes, entre 18 et 24 ans, sont six sur dix à vivre chez leurs parents ; que les 10/25 ans sont davantage victimes de violences.
Autre étude notable, celle du CREDOC ( Centre de recherche, d’étude et d’observation des conditions de vie), une recherche qui concerne 4000 jeunes. Le « baromètre » 2016 (n°337) du Centre s’est penché sur la génération des 18/30 ans, un âge où les questions d’emploi, de logement et d’installation en couple se sont toujours posées, le plus souvent dans cet ordre chronologique. Aujourd’hui, cet ordre est bouleversé, souvent inversé ou peut même être réversible. L’indépendance des jeunes est tardive.
Et cette catégorie s’avère extrêmement vulnérable. L’étude est organisée en trois grandes parties, le regard des jeunes sur la société ; leur engagement citoyen ; leur accès aux droits. Sans surprise, on observera que le niveau de confiance dans les autres, dans la société, dans l’avenir s’accroît à mesure que s’accroît le niveau de vie des sondés. Fragilisés, les jeunes connaissent une « paupérisation relative ». Et ils considèrent que leurs conditions de vie vont se détériorer dans les prochaines cinq années. Ils ont été très sensibles aux attentats, partagent un sentiment d’insécurité d’autant plus fort qu’ils ont l’âge des victimes et des bourreaux.
Ils portent plutôt un regard positif sur les relations hommes/femmes, ou inter-générations, ou entre jeunes d’origines diverses : ils se montrent plus ouverts que leurs aînés, et considèrent la diversité comme une richesse. Pour eux, les principales tensions passent entre riches et pauvres, entre patrons et salariés...

Leur niveau d’engagement est très fort, en hausse en 2016 sur 2015. On a pu mesurer, lors de la présidentielle, leur mobilisation derrière le candidat Jean-Luc Mélenchon ( majoritaire dans l’électorat étudiant). 8 jeunes sur 10 sont bénévoles ou prêts à donner de leur temps. S’ils limitent leurs activités solidaires, c’est par manque de temps et par « intensification du temps » : 9 jeunes sur 10 a une autre activité tout en regardant la télévision...
Le service civique est vu d’un bon œil. Quatre jeunes sur dix seraient prêts à s’engager dans un service civique avec, pour premier moteur, l’envie d’être utile à la société. Ils ressentent un fort déficit d’écoute : la moitié des jeunes estiment que leur avis ne compte plutôt pas. Pour exprimer leur opinion, ils mobilisent (plus du tiers) internet.

Leurs attentes sont fortes vis à vis des pouvoirs publics pour accéder à l’autonomie. Leur mobilité internationale est relative : un jeune sur sept est parti à l’étranger au cours des cinq dernières années, dont quatre sur dix pour poursuivre des études et la moitié pour des raisons professionnelles. Ils manquent d’information sur leurs droits sociaux : c’est le premier motif de non-recours à ces droits. Enfin, pour clore le tableau, et l’enquête du Credoc, ce chiffre douloureux : en 2015, un grand nombre de jeunes, que Le Figaro aime décrier, ont renoncé aux soins pour des raisons financières. C’est de l’ordre d’un jeune sur quatre, un chiffre en constante progression ces dernières années..étude credoc

ENCADRE

Un fort taux d’engagement
En 2015, l’enquête sur l’engagement des jeunes menés par le CREDOC avait montré que les jeunes sont très présents dans le monde associatif, en tant qu’adhérents mais aussi pour y donner de leur temps bénévole. Les jeunes se montrent en outre particulièrement mobilisés au travers de formes d’expressions protestataires, individuelles, ponctuelles et surtout non affiliées. Ainsi l’analyse montrait que, davantage que leurs aînés, les moins de trente ans utilisent internet pour signer une pétition ou défendre une cause, et participent plus souvent à des manifestations ou des grèves. Outre l’engagement de fait, l’enquête avait enfin permis de mettre en lumière un très fort potentiel de mobilisation des jeunes parmi ceux qui ne sont pas déjà bénévoles, notamment dans le monde associatif qui bénéficie d’une image très positives chez les jeunes, encore plus que chez les plus âgés.
Qu’en est-il en 2016, (…) L’engagement bénévole concerne plus du tiers des jeunes. 35 % des 18-30 ans déclarent donner bénévolement de leur temps en consacrant quelques heures à une association ou autre organisation au moins ponctuellement dans l’année. Un quart (23%) le fait régulièrement, que ce soit chaque semaine (14%) ou chaque mois (9%). Par rapport à leurs voisins européens, les jeunes Français présentent un taux de participation bénévole très haut. En 2012, interrogés dans le cadre de l’enquête européenne sur la qualité de vie ( EQLS, European Quality of Live Survey) menée par Eurofound, 19 % des Français âgés de 18 à 24 ans déclaraient avoir donné de leur temps bénévole régulièrement au cours des 12 derniers mois. Ce qui les place au second rang des jeunes européens, juste derrière l’Islande. Les jeunes Français présentent un taux de participation bénévole près de 1,5 fois plus élevé que le taux de participation mesuré au Royaume Uni ou en Allemagne, et deux fois plus important par rapport à l’Espagne et l’Italie.
Extraits de l’enquête Credoc/Jeunesse 2016, pp 27/28



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