Daniel Cirera

Sur le site "La faute à Diderot" ( de Valère Staraselski)

Marchais
Daniel Cirera a lu la biographie de Georges Marchais rédigée par Gérard Streiff

Le parti pris est de G. Streiff est assumé. Un livre bref, facile de lecture, dense, couvrant avec et à travers la vie du secrétaire général du PCF - le 2ème après M. Thorez- une période essentielle et charnière de son existence. L’intérêt de la lecture tient au croisement entre son expérience personnelle et le rappel chronologique d’événements pour certains connus, pour d’autres oubliés ou interprétés par la brutalité du combat politique de la période. Se dessine un portait affectueux et respectueux, donnant à voir un homme, avec sa sincérité jusqu’à une confiance quasiment naïve, d’après ceux qui l’ont approché, qui rend d’autant plus douloureuses et violentes les ruptures et les reniements.

Dans cette volonté de rendre justice en quelque sorte à celui qui, au premier rang des responsabilités, prend – et donne – des coups d’une violence peu imaginable aujourd’hui, ad hominem particulièrement autour de sa présence en Allemagne pendant la guerre dans le cadre du STO. Streiff raconte un dirigeant créatif, audacieux, qui exprime à ses proches, et à la fin de la vie, ses doutes et ses certitudes.

A travers le récit, se profile un dirigeant novateur, audacieux, occupant les espaces libérés par les ouvertures de son prédécesseur, Waldeck Rochet, et en même temps, très vite soumis à toutes les contradictions auxquels ces choix lourds seront confrontés. A travers le récit, concentré sur des moments clés, apparaissent avec la responsabilité des hommes, en premier lieu de ceux en charge de la direction, les décisions et les choix [1]. Mais ces choix, stratégiques et conjoncturels, sont inscrits dans des mouvements et des événements, des fondements culturels, des pesanteurs, qu’ils n’ont pas choisi. Le récit de Streiff donne à voir la détermination qu’il a fallu pour la prise de distance – freinée et limitée mais réelle – avec l’URSS, jusqu’aux chemins de traverse empruntés pour faire accepter l’abandon de la dictature du prolétariat en 1976.

Les grands blocs de problèmes posés au dirigeant comme au Parti communiste dans ces décennies découpent le texte : les rapports avec le Parti socialiste, les rapports avec l’URSS, la défense et préservation d’un parti qui voit son influence s’éroder inéluctablement, alors que « la gauche », identifiée au PS, occupe l’espace politique dans le contexte institutionnel de la V° République. Ces questions traversent les moments essentiels structurés par le 22° congrès en 1976, et les années 1980.

La longue période qui va des années 1970 à la charnière des années 1980, de l’élaboration du programme commun (signé en 1972) et des tensions qui suivent, jusqu’à la crise des élections européennes de 1984, avec le choc de 1981, est au cœur de l’identification entre l’homme et une période d’une intensité politique exceptionnelle. C’est l’histoire de toute la gauche française dans cette période qui fixe un cadre tourmenté, dont seul le regard distancié reconstitue la cohérence. Qu’on y songe. Outre les question liées à l’union, le 22° Congrès, l’eurocommunisme, auquel Streiff consacre des pages éclairantes, il faut avoir en tête le contexte de l’arrivée de la gauche au pouvoir. Ce moment est celui d’un basculement : la déliquescence brejnévienne de l’URSS jusqu’à la faillite, la Pologne avec Solidarnosc, l’état de siège et Jean-Paul II, l’Afghanistan, la révolution iranienne, le déclenchement de la vague néolibérale avec l’arrivée de Thatcher et Reagan.

En prenant parti dans des débats des années 1970-1980, Streiff, volontairement ou à son corps défendant, renvoie à des questions présentes, ou encore non-résolues, et à des débats qui traversent encore le parti communiste. L’attention est d’autant plus intense quand, avec les élections de 2017 et l’effondrement du parti socialiste créé en 1971, sont mis en question les deux partis de l’union de la gauche.

Dans l’examen critique il y a ce qui tient aux choix stratégiques des années 60/70 et aux adaptations tactiques, offensives et de plus en plus défensives, plus conjoncturelles. Il y a ce qui tient à la conception même de la transformation révolutionnaire, de la « construction du socialisme », ce qui tient au modèle français du socialisme et du communisme, son originalité et sa dépendance au modèle.

Une question taraude les communistes français, et les analyses de la vie politique française. Celle des causes du déclin du PCF et comment l’enrayer ? L’effondrement de l’URSS ? La perte d’influence trouve ses racines bien en amont, et se manifeste électoralement dès les années 1970. La stratégie de Mitterrand de « prendre au PCF » trois millions d’électeurs, comme il le déclare devant l’Internationale socialiste ? Le glissement à droite du PS, et la rupture de l’union ? Le renvoi des causes des difficultés sur les autres trouve vite ses limites, il empêche de voir ce qui dépend de « nous ». Le glissement à droite de la société ? Peu dialectique, il favorise le sentiment d’impuissance et exonère des transformations nécessaires.

Une thèse est avancée pour expliquer le recul, notamment au 25ème congrès, en 1985, celle du « retard ». On ne peut s’en satisfaire. Pertinente sur la condamnation du stalinisme, sur des questions comme le féminisme, ou l’Europe, elle est discutable sur la question stratégique. Elle présuppose une vision linéaire des transformations de la société. Elle induit le risque d’une réduction à un "rattrapage" des transformations stratégiques et organisationnelles à opérer. Retard par rapport à quoi ? La notion porte le risque d’occulter des causes structurelles des problèmes. Elle a l’avantage pernicieux d’exonérer de ses transformations, surtout quand elles risquent de violenter le corps militant et d’affronter les dogmatismes.

La stratégie d’union ? Les alliances avec le Parti socialiste ? La participation au gouvernent ? Chacun mesure combien ces références sont pesantes. On pourrait à l’inverse invoquer la désunion et la « rupture », Marchais et la direction mesurant les conséquents désastreuses pour celui qui en porte la responsabilité face à l’opinion. La non présentation d’un candidat en 1965 et 1974 ? On en juge davantage pour ses conséquences que par l’analyse des conditions dans lesquelles la décision est prise.

En 1974, alors que se dessine le « rééquilibrage mitterrandien », le PCF par la voix de Georges Marchais en appelle à « l’intervention populaire ». « L’union c’est votre affaire », écrit-il dans l’Humanité, pour que l’espérance ne soit pas déçue ». Le 23° Congrès en 1979 en appelle à « l’union à la base », pour « dépasser » un programme commun en lambeau. En 1985, face à l’échec stratégique consommé, le congrès affirme la « primauté au mouvement populaire » par rapport aux « accords de sommet ». Comment est, et sera, interprétée cette « primauté » ? D’abord comme une réponse immédiate dans un rapport de force qui se détériore, comme un moyen de peser dans la gauche, de rééquilibrer l’influence du parti communiste face à la social-démocratie. Cette conception renvoie, à son corps défendant peut-être, aux relations de sommet entre le PCF et le PS. Elle correspond à l’époque et aux effets structurants de stratégies qui gardent en référence - naturellement idéalisée - la période des « jours heureux », quand le Pcf deviendra une force influente puis centrale dans la vie nationale et la gauche française. Elle reste prégnante dans le PCF, la vie nationale, la gauche, y compris habillée de radicalité.

Il est une autre interprétation, en gestation, juste embryonnaire dans les années 1980. De fait plus proche de la conception du communisme de Marx. Celle qui fait référence à une stratégie de « dépassement » radicalement différente de celle des étapes préétablies, la « démocratie avancée » puis « le socialisme » projetant le communisme vers un avenir radieux. Dans les dernières pages consacrées à Démocratie écrit en 1990, Streiff cite le passage qui porte sur le processus de transformation socialiste comme le « dépassement de ce qui, dans la société, est capitaliste », le socialisme étant identifié à une « civilisation supérieure ». Le processus de transformation étant « le mouvement réel qui abolit l’état actuel », selon les termes de Marx. Or Marx parle, lui, du « communisme ».

La « primauté du mouvement populaire », n’est pas alors conçue essentiellement comme un moyen de pression, mais comme « mouvement abolissant le réel ». Se dessinent là les prémisses d’une approche stratégique et conceptuelle en rupture avec la doxa dominante, et qui franchira un cap décisif dans la décennie qui suit.

« Georges revient » . Cette interpellation entendue ou vue sur des pancartes dans des rassemblements interroge. Pour beaucoup dans la mémoire collective, la vie du PCF semble s’être arrêtée aux années 1970. La nostalgie de cette période qui saisit des militants exprime un désarroi face au présent et des interrogations sur l’état et l’avenir de leur parti. Elle répond à sa manière aux attaques injustes dont fut l’objet le secrétaire général d’un des plus importants partis communistes des pays capitalistes, - un des rares à avoir occupé des fonctions gouvernementales, en l’occurrence dans la 4° puissance du monde. Comme mémoire, elle idéalise le passé, faute d’espérance en l’avenir. Puisse alors cet essai, qui ne cache pas sa sympathie respectueuse, faire réfléchir sur les risques des raccourcis et des modèles.

Le livre commence par un entretien qui aurait dû être le premier d’une biographie. Brutalement, après le premier entretien Georges Marchais annonce qu’il arrête. En conclusion Streiff s’interroge sur les raisons de ce renoncement comme celui de l’écriture d’un livre qu’il avait évoqué à plusieurs reprises. Raisons personnelles ? Politiques ? Streiff opte sur l’option d’un recul réfléchi devant le risque de mettre en cause ses prédécesseurs, et des proches. Cette décision dit l’homme. N’est-elle pas aussi révélatrice du rapport particulier que les communistes avaient (ont encore) à leur parti et à leur histoire ?

Cette centaine de pages assume son parti pris, et ses limites, alors que l’on commémore les 20 ans de la mort de Georges Marchais. C’est une incitation, un pré-texte, à prendre ou reprendre la lecture et l’analyse critique de la période, par d’autres ouvrages de chercheurs et historiens, de témoins et acteurs de l’époque, communistes ou non, du rôle des hommes et du contexte. Cette connaissance et cette compréhension de tels moments, avec, comme on dit « les ombres et les lumières », est , on le sait, une des conditions pour affronter le présent.

16 septembre 2017

Marchais. De Gérard Streiff. Editions Arcane 17. Paris, Juillet 2017
Notes :

[1] G. Streiff insiste sur l’importance de l’importance de l’influence de Jean Kanapa, - sur le quel il a écrit sa thèse de doctorat -, la confiance qui le lie à G. Marchais , et son rôle déterminant dans les efforts de renouvellement du PCF dans les années 1970.



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