Universite été PGE/2018

Université d’été /PGE
Débat 1968/jeudi 12 juillet
Intervention de Gérard Streiff (PCF)

Le vent des révoltes s’arrête rarement aux frontières. En 1848, le Printemps des peuples, un mouvement de protestation contre l’autoritarisme, traversa tout le vieux continent, de l’Italie à la Hongrie en passant par Paris.
En 1968, l’horizon est plus large encore, il est mondial. Ce qu’on appelle la lutte anti-imperialiste n’est pas un vain mot. Le monde est divisé en deux blocs sur lesquels on s’aligne ou dont on cherche à s’émanciper. Le mouvement de décolonisation est avancé. L’Algérie a conquis son indépendance en 1962. Les nations non-alignées s’organisent.
En 1967, quelques mois avant de mourir dans la jungle bolivienne où il menait une guerilla, Che Guevarra lance son mot d’ordre : « Nous pourrions regarder l’avenir proche et lumineux si deux, trois Vietnam fleurissaient sur la surface du globe ».
En 1968, l’action des communistes vietnamiens, qui viennent de lancer l’offensive du Têt pour récupérer Saïgon aux Yankees, force le respect dans le monde entier.
De l’autre côté de l’Atlantique, le mouvement des droits civiques fait le lien entre aspirations à l’égalité et lutte contre son propre impérialisme.
La Chine en pleine révolution culturelle – dont on connaîtra plus tard les dérives - est également source d’inspiration.

Aux USA, 1968 est l’année des incendies, année de défaites militaires, de révoltes, année d’assassinats politiques aussi.
Dans les anciens pays de l’Axe (Allemagne, Italie, Japon), la jeune génération cherche à se libérer des nouvelles formes de barbarie, quitte à prendre le chemin de la violence.
A Prague, l’espoir en un socialisme plus démocratique triomphe avant d’être écrasé sous les chars soviétiques.
Au Mexique, le gouvernement, avec l’aide de la CIA, réprime dans le sang le mouvement étudiant, plus de 300 morts, un crime d’Etat impuni.
1968, c’est donc un mouvement planétaire, à l’ouest et à l’est, une revendication de sens et de démocratie.

En France, 1968 intervient dans un pays où les grèves n’ont jamais cessé, un pays qui gronde.
C’est le plus grand mouvement social de luttes des classes que la France n’a jamais connu, entre 7 et 10 millions de grévistes, des manifestations massives, des formes d’expression politiques nouvelles.
Des expressions artistiques hors normes, transgressives, écrites, orales ou chantées, tags, affichages sauvages, slogans extraordinaires !
Mai 1968, ce n’est pas d’un côté la jeunesse étudiante qui manifesterait pour des revendications sociétales et, de l’autre, le monde du travail qui ferait grève pour des revendications économiques, comme si par exemple le sens du travail ne se posait pas à l’université et à l’usine.
C’est toute une jeunesse qui, quel que soit son statut, écoute la même musique, va aux mêmes concerts, a décidé de prendre le chemin de la lutte et aspire à une autre vie, à la libération sexuelle, à un autre monde.
Une jeunesse qui crée car elle lutte !

Et Mai 1968 n’est pas que le moment d’une seule génération étudiante et salariée. C’est aussi toute une classe qui revendique, qui s’organise et qui gagne. Car les conquêtes de 1968 sont nombreuses et sont venues compléter celles de 1936, le Front populaire, et de 1945, à la Libération.
Quelques exemples extraits du « constat » intervenu alors entre représentants des salariés, du patronat et du gouvernement, dit Constat de Grenelle :
Augmentation du Smig (salaire minimum) de 35% (et de 56% pour les salariés agricoles).
Augmentation générale des salaires de 10% en moyenne.
Reconnaissance légale de la section syndicale d’entreprise et de l’exercice du droit syndical dans l’entreprise.
Proposition d’aller par étapes aux 40 heures.
Révision des conventions collectives, réduction et intégration des primes dans le salaire.
Avancées en matière de Sécurité sociale (branche maladie) .

Et au-delà, Mai 1968, malgré l’échec politique immédiat (les élections sont remportées par la droite et marquées aussi par une forte abstention), mai 68 donc libère la société française.
Aujourd’hui certains affirment, notamment à gauche, que 1968 serait l’antichambre de la victoire du libéralisme.
C’est faux : 1968 est exactement l’inverse : le refus de l’égoïsme, la mise en avant des solutions collectives mais effectivement pas au détriment de l’individu, de ses rêves, de ses désirs.
En France, 1968 fait l’objet d’une lutte d’interprétation, qui est une véritable lutte des classes dans le domaine de la commémoration.

Cette lutte d’interprétation concerne aussi le rôle du PCF.
Rappelons que le PCF à l’époque était fort de 300 000 adhérents dont 100 000 ouvriers.
On entend la thèse parfois d’un ratage de Mai 1968 par le PCF.
Il est vrai que le Parti communiste a hésité, à trop tardé à prendre toute la mesure sociétale, toutes les dimensions de civilisation que portaient en elles les revendications de Mai 68 ; il est vrai qu’il n’a pas su totalement prendre en compte, à ce moment là, les immenses aspirations démocratiques qui faisaient irruption dans la société française et dans d’autres pays européens.
Mais il est vrai aussi que ses militants, ses organisations ont été de toutes les mobilisations et on sait le rôle irremplaçable qu’ont joué les militants communistes, souvent des militants syndicaux, dans l’extension de la grève.
Il est vrai que la situation était complexe. Le PCF pariait sur l’élaboration d’un programme commun de la gauche et lui subordonnait tous ses actes ; certaines forces, notamment d’extrême-gauche, rêvaient d’un nouvel Octobre 1917 ; d’autres encore, comme au parti socialiste, escomptaient la création d’une troisième force centriste. L’extrême-gauche et les socialistes n’ont donc pas mieux compris le moment 1968, dont la radicalité ne se laissait enfermer dans aucune grille pré-établie.

La portée de mai 1968 tient au fait que c’est en même temps une mobilisation puissante du monde du travail avec un niveau de grève exceptionnel et un mouvement de jeunesse. En plus de cela, une chape de plomb sur la société qui explosait. Alors reste la question : pourquoi la convergence (monde ouvrier/jeunesse) n’a pas été aussi simple qu’on aurait pu le penser ? Est ce qu’il suffit que des forces sociales très importantes soient traversées par des intérêts communs pour qu’elles convergent face à un pouvoir comme celui de l’époque (mais la question vaut aussi pour aujourd’hui) ? La convergence doit se construire patiemment. Cela n’a pas été possible en 1968. Autrement dit un soulèvement peut être général contre un pouvoir sans que les débouchés politiques soient au rendez-vous.

La droite gaulliste a profité de ces divisions et elle est sortie vainqueur à court terme de la crise. Mais on peut dire que la proposition politique communiste alors a porté loin ensuite et elle est à l’origine de la victoire de la gauche de 1981.
Seulement, elle a profité d’abord au PS de Mitterrand, avant de s’épuiser dans le tournant libéral pris par ce même parti socialiste. Mais c’est une autre histoire.
Merci de votre attention.



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