Belle-Ile mars 2019

Préface

Chacun a sans doute sa définition de la beauté, de l’harmonie. Pour moi, c’est – notamment - le spectacle du domaine de Bruté, à Belle-Ile en mer, lieu de résidence et de travail de nos 3èmes, au petit matin. Imaginez : une pelouse à perte de vue, une demi-douzaine de faisans et faisanes (parité respectée) qui y picorent et des rayons de soleil (il est énorme, tout rouge, sort de la mer et semble à deux pas) qui dorent le décor… C’est tout simplement parfait.
C’est donc dans ce cadre aussi que nos 3èmes du collège Alain Fournier d’Orsay ont imaginé les deux récits que vous allez lire. Ils s’y sont mis avec envie, allégresse oserais-je dire, et un vrai savoir-faire. Une plongée dans le passé de l’île ( le bagne et la chasse à l’enfant en 1934 ; dix ans après, l’occupation allemande et la Résistance, en 1944 donc) et un plaisir d’écriture qu’ils nous font partager.
Merci aux 3èmes pour leur entrain. Merci aux profs pour leur belle complicité. Merci à OVAL pour l’hospitalité.

Gérard Streiff
GROUPE A

LA CHASSE A L’ENFANT

Chapitre un
L’évasion

« Loïc, c’est toi ?

Le garçon est troublé, cette voix… Qui est-ce ?
Dans sa chute, il a un instant perdu connaissance, fait des rêves ou des cauchemars : il s’est vu menacé par une amie d’enfance qui avait failli le tuer avec son arc. « La prochaine fois, je ne te louperai pas » lui avait-elle dit. Puis il se voyait poursuivi par une hystérique qui criait « bandit, voyou, voleur, chenapan », il était aussi question de mariage prévu dans un mois, de lune de miel, puis quelqu’un le poussait à l’eau…

Loïc entend à présent un chuchotement, ce n’est pas très distinct, il essaye d’ouvrir les yeux. Une lumière l’aveugle. Il a beau tenter de toutes ses forces de bouger, rien ne se passe. Est-ce qu’il serait paralysé ? Puis il sent du sable sur sa peau, il devine qu’il est sur une plage. Il entend le cri des mouettes.

 Loïc, c’est moi, Carla
Il cherche au plus profond de son esprit. Peu à peu, il reprend conscience malgré un mal de crâne atroce. Voilà, ça lui revient.

Une main se pose sur son visage…
Carla. Loïc la dévore des yeux. Il la trouve à présent si belle malgré les blessures sur son corps, le bleu sur son front, les griffures sur son bras et le dernier coup de ceinture sur sa nuque. Son père décidément y est allé fort.
Elle porte une robe rose pâle et un foulard rouge. Ses cheveux dorés et ondulés volent au vent. Oui, elle est vraiment belle.

Loïc est bagnard. Il est vêtu de sa combinaison de prisonnier trop large pour lui. Il est grand et maigre, c’est dû au manque de nourriture.
Carla est la fille du directeur du bagne. Pendant ses temps libres, elle rendait visite aux jeunes prisonniers. Et si elle venait si souvent les voir, c’est parce qu’elle n’était pas d’accord avec les règles instaurées par son père.

ILLUSTRATION 1
Loïc

Loïc vient de s’évader du bagne, il a réussi à s’en sortir. Il a suivi le plan prévu.
« Et les autres ? » se demande-t-il. Mais il sait que les autres se sont faits balancer. Carla se lamente. Il lui dit de ne pas s’inquiéter, il libérera les autres plus tard.
 On peut pas rester ici très longtemps, assure Carla. Les gendarmes, la police, tous ils fouillent l’île. Même les habitants sont contre nous. Et leurs chiens nous courent après. C’est la chasse à l’enfant. Je vais t’aider.

Pourquoi elle fait ça ? Oui, il se souvient maintenant de leur complicité. Depuis quatre mois en effet, ils communiquaient par morse. Il se rappelle les messages discrets qu’ils échangeaient, chacun avec une lampe torche.

Il tente de lui expliquer son cauchemar, cette fille avec son arc qui vend sa chasse au boucher et sur le marché pour pouvoir s’acheter un bateau qu’on refuse de lui vendre. Finalement il renonce à parler de ce drôle de rêve.
Et puis il se souvient. Du bagne, horrible, des gardes violents, cruels. Et de l’évasion. Il raconte la scène :
« Il y avait trois gardes, tous trois aussi sadiques les uns que les autres. Bruce, le plus costaud, tapait sur tout le monde sans raison valable. Robert nous faisait courir sans s’arrêter chaque matin, durant des heures. Le dernier, Bart, était de loin le plus terrorisant. Non seulement il aimait les punitions sadiques mais il allait même parfois jusqu’à la torture. On était à bout, on voulait s’évader. L’élément déclencheur fut terrible : la veille de l’évasion, au coucher, Bart appela Jean, un ami. On entendit des cris pendant au moins trois heures, provenant de la salle de « torture ». On était pétrifiés dans nos lits, incapables de fermer un œil. Soudain les cris ont cessé. Au réveil, Jean n’était plus là. Bruce est venu nous chercher comme d’habitude pour la classe. Dans la cour, ébahis, on a vu le corps de Jean sur les graviers. Dégoûtés, on était tous dégoutés, même Bruce et Robert. Notre décision était prise : on allait partir. Le soir même, alors que le soleil se couchait, vers 19h, la rébellion a commencé. Sans faire trop de bruits, on a démonté les lits, récupéré des barres de métal ; certains ont forcé la serrure. Et puis on s’est esquivé, en priant que les gardes ne se réveillent pas. Arrivés au portail, Bruce et les deux autres gardes nous ont repéré. Panique. Les gardes frappaient. Moi j’ai escaladé le portail, puis j’au couru, sans réfléchir. Jusqu’à la plage. J’ai du tomber, m’assommer. »

ILLUSTRATION 2
Carla

 Je vais t’aider, répète Carla.
 Non, surtout pas, je ne veux pas t’impliquer là dedans, répond Loïc, plein de bienveillance à son égard.
 Je n’ai pas peur du danger, j’en ai marre de voir toutes ces souffrances. Je ne me soucie pas de mon père, je connais la cachette de son trousseau de clés. Pour récupérer un bateau.
 Merci, mais comment pourrais-je te remercier ?
 Simplement en respectant cette condition : que tu m’emmènes avec toi !

Un peu plus tard, elle lui demande s’il a faim.
 Oh oui, qu’est-ce que j’ai faim ! dit Loïc
Justement elle a ramené quelque chose à grignoter. Quelques biscuits, un peu d’eau.
Il engloutit son festin en quelques bouchées, il est si affamé. Et puis il se dit qu’il doit avoir un drôle d’air. Il est si fatigué ! Les joues creusées, les vêtements déchirés et puis ces cheveux qui poussent dans tous les sens…
Pendant ce temps-là, la chasse à l’enfant continue.

Chapitre 2
La traque

Et maintenant, que faire ?
« Allons nous cacher sur le bateau de mon père » propose Carla.
 On y va à pied ?
 Oui, on n’a pas le choix. Tu sais, il faut se méfier de tout le monde. N’importe qui peut te reconnaître.
 Alors on va longer la côte, on croisera moins de monde.
 Ça veut dire à peu près quarante minutes de marche. Partons maintenant, on y sera avant la nuit.
 Non, attendons plutôt la nuit. On sera plus discret.

Ils ont à peine le temps de se reposer et ils repartent. Mais en ville, sur le port, la chasse à l’enfant bat toujours son plein. Pas moyen d’accéder au bateau. Il y a des gendarmes partout, des policiers, des chiens, terrifiants, qui n’arrêtent pas d’aboyer. On se dit que s’ils vous chopent, ceux-là, on ne donnera pas cher de votre peau. Le mieux dans ce cas-là serait peut-être de se rouler dans l’eau et dans la boue, ainsi les chiens ne pourraient plus sentir leur proie.

Les habitants du Palais semblent aussi enragés. Il faut dire qu’il y a une prime pour chaque enfant ramené. Les îliens sont plutôt pauvres, ces primes sont donc très intéressantes pour eux, histoire de nourrir leurs propres enfants. Même les touristes se lancent dans la chasse au jeune bagnard pour pouvoir récupérer cette prime promise.

Un gros chien se débat si fort qu’il s’enfuit avec sa laisse. Et il va mordre un des jeunes fuyards au mollet. Celui-ci pousse un cri de douleur déchirant. Le bagnard s’effondre, se débat mais on le sent affaibli par le manque de nourriture.

ILLUSTRATION 3
Le phare

Loïc et Carla ont assisté à la scène. Comme d’autres chasseurs et d’autres chiens approchent, Carla tente de faire diversion, elle dit qu’elle a vu Loïc à Locmaria. Des gardes en camionnettes, en voitures s’y rendent aussitôt.

A force de courir, depuis des heures, les deux jeunes gens sentent qu’à ce rythme, ils vont bientôt craquer. Carla réalise alors qu’elle n’a pas les clés pour faire démarrer le bateau de son père. Mais elle sait exactement où elles se trouvent. Elle sont dans son bureau de directeur, dans le troisième tiroir en partant du haut.
Ils se séparent. Elle retourne au bagne. Le bureau de son père est désert. La porte grince, Carla se retrouve dans les lieux où règne un silence de mort. La lumière clignote faiblement, la jeune fille progresse à tâtons. Elle accède enfin au meuble, elle ouvre le tiroir en question. Pas de clés. Elle cède à la panique.

Lorsqu’elle retrouve Loïc, elle lui annonce la mauvaise nouvelle. Pas de clés !
 Tu rigoles ?
Mais non, ce n’était pas une blague.
 Et maintenant, on fait quoi ? demande le garçon.

Où se cacher ? dans une grotte sombre ? dans un puits abandonné ? dans une cavité creusée dans les rochers ? sous une trappe et un escalier en colimaçons ?

 Suis moi, je connais un endroit où personne ne nous trouvera.
 C’est quoi ?
 Un vieux phare. Il est habité seulement l’été.
 Ok, je te suis.

Les deux jeunes gens se rendent au phare où ils se cachent, tout au sommet de la tour, transformé en salle de séjour. L’endroit est isolé.
Loïc est triste.
 Il faut absolument que j’aille chercher les autres, je me sentirais trop coupable si je les abandonnais.
 Non Loïc, ce n’est pas possible.
 Mais je me fiche que ce soit dangereux, je…
 Loïc, crois moi, la police est postée à toutes les entrées du bagne, de nouveaux gardes sont arrivés, des barbelés ont été installés sur les routes.
 Comment tu sais tout ça ?
 Mais je viens de le voir. Et puis mon père, Loïc…
 Quoi ton père ?
 C’est le directeur de la prison.
 Oh mais oui, c’est vrai.

Les jeunes gens écoutent la mer toute proche, une tempête se lève, de grosses vagues commencent à se former. Puis ils s’endorment collés l’un contre l’autre pour se protéger du froid.
Soudain, un bruit de portière de voiture, au pied du bâtiment, les réveille.
 T’entends ?
 Oui, il y a quelqu’un en bas.
 C’est qui ?
Carla se touche le front, désolée :
 Pourquoi je n’y ai pas pensé…
 Arrête, qu’est-ce qu’il y a ?
 J’ai oublié : il y a quelqu’un qui vient de temps en temps entretenir le phare.
 Qui ?
 Une personne engagée par la mairie pour s’occuper du lieu. Viens, cache toi, il monte.

Chapitre trois
Ami ? Ennemi ?

La porte s’ouvre. Ami ? Ennemi ? Bonjour le stress et l’adrénaline. Un homme de petite taille, gros ventre, pipe à la bouche, barbe mal peignée s’avance. C’est un personnage vieilli par le temps, habillé modestement. Les enfants sont dans le placard, blottis l’un contre l’autre. Mais ils font du bruit. L’autre l’entend. A présent il est juste devant la porte du placard. Panique.
 Qui est là ? demande-t-il d’une voix rauque.
Pas de réponse.
L’homme découvre leur cachette. Loïc et Carla sont paralysés de peur.

Après un moment d’attente, l’homme dit :
 Que faites vous là, mes enfants ?
A nouveau, pas de réponse, ils restent sans voix.
 Répondez, je ne vous dénoncerai pas, malgré la très haute prime. Vous savez, tout gosse, j’étais moi-même bagnard.
 Comment vous nous connaissez ?
 Mais toute l’île est au courant. Il y a des photos des évadés placardés partout. C’est la chasse à l’enfant. Toi, garçon, tu as la tenue de bagnard. Alors…
Il se tourne vers Carla :
 Et toi, qui es tu ?
 C’est ma sœur, s’empresse de répondre Loïc.
 Qu’allez vous faire ? demande timidement Carla.
 Oui, qui me dit que vous ne voulez pas me capturer.
 Mais je suis de votre côté, répète l’homme.
 Bon on accepte votre aide.
 Alors passez une bonne nuit de sommeil. Demain je viens avec ma camionnette et je vais vous aider.

ILLUSTRATION 4
Voiture

L’homme part.
 Tu lui fais confiance ? s’étonne le garçon. Moi, non. Si j’avais eu un bâton, un gourdin, un poignard, même une assiette… Mon sang ne faisait qu’un tour. J’aurais pu aussi l’assommer d’un coup de chaise ! Il a peut-être l’air sympa mais ici, il ne faut faire confiance à personne. A personne !

Méfiants, ils décident tout de même d’aller dormir. Carla fait des cauchemars où elle se voit restant sur l’île, séparé de son Loïc. Pire : elle s’imagine enfermée par son père dans un bagne pour jeunes filles.
Le lendemain matin, ils sortent du phare à pas feutrés. Mais là, six hommes les attendent. Les jeunes gens prennent leur jambe à leur cou, s’éloignent du phare, rejoignent le port, sous le regard ébahi de quelques commerçants. Le long du quai stationne le fameux ferry à vapeur « Emile Bolacoup ». Des voitures patientent avant d’embarquer. Il y a là notamment une grosse Citroën, une Rosalie. Les enfants s’engouffrent dans le coffre arrière. Ils entendent le moteur de la voiture gronder. Un employé du ferry s’approche du chauffeur. « Bonjour. Contrôle. Fouille de la voiture ! dit-il. On doit passer votre engin au peigne fin ! »
C’est la cata ! Mais le chauffeur fait un scandale. « De quoi, de quoi, comment osez-vous ! Je suis ambassadeur. Comment pouvez vous prétendre vérifier mes bagages. »
L’employé est gêné, il s’excuse à plusieurs reprises et laisse finalement la voiture embarquer. Direction le continent.

FIN

GROUPE B

1944

Chapitre 1
Le retour

Rose et Georges arrivent de nuit sur l’île. Leur barque est doucement bercée par les remous de l’océan. Seul le bruit des vagues leur parvient. Un léger brouillard recouvre le port.

Georges prend ses jumelles, observe les quais du Palais. Des Allemands patrouillent. Rapidement ils changent de bord afin d’accoster à l’abri des regards. Ils camouflent leur embarcation et grimpent discrètement en haut de la falaise. Là, ils s’arrêtent quelques instants pour contempler la petite ville insulaire. Le clocher sonne, brisant un instant le silence.
Ils n’avaient pas revu Belle-Ile depuis 1934, date de leur fuite vers le continent. L’endroit est gravé dans leur mémoire. Il n’a en apparence pas changé malgré l’occupation nazie. Toujours le même port, toujours ces mêmes maisons, toujours les mêmes rues pavées.
Le bruit des pas, le bruit des bottes en fait, lui, a changé.
Les Allemands en effet occupent, depuis 1940, l’intégralité de l’île.

Les souvenirs de leur enfance rejaillissent. Ils repensent à toutes ces journées de labeur, de brimades, à toutes ces humiliations infligées, aux tortures, à ces longues heures à porter des sacs horriblement pesants le long de la côte, à l’épreuve du « bal » aussi, tout ça pour le simple divertissement des gardiens du bagne, ce lieu sordide. Ils repensent à leur décision de s’évader en 1934. Dix ans déjà. A cette soirée de fuite, où ils étaient tellement excités. Eux étaient partis mais un de leur ami était mort ce soir là.

ILLUSTRATION 1
Georges

 Ça va, tu es prête, demande Georges.
 Oui mais cela me fait bizarre, répond Rose, de me retrouver ici ; j’ai l’impression de redevenir Carla, l’ancienne Carla.
Une larme coule sur sa joue rougie par le froid.
 Moi aussi ça me fait bizarre mais t’inquiète pas, tout va bien se passer. Et puis on ne parle plus du passé, c’est fini maintenant tout ça.
N’empêche, Georges est perplexe. Il se demande si ce séjour est une bonne idée.

Après leur fugue, ils s’étaient finalement réfugiés aux Etats-Unis où ils vécurent des jours paisibles loin de l’Europe, théâtre du conflit mondial.

Aujourd’hui, de retour à Belle-Ile, ils ont en fait une double mission. La Résistance, en effet, cherchait des personnes connaissant bien l’île, afin d’y récupérer une arme que les Allemands fabriquent sur le site du bagne justement. Là, l’occupant fait travailler les jeunes prisonniers. Et on peut dire que Georges et Rose connaissent bien l’île. Mieux que personne. Malgré le temps passé, ils savent retrouver les repères de leur enfance.
Et puis il y a une deuxième mission, rendre leur liberté aux enfants encore prisonniers au domaine de Bruté. D’autant que parmi eux se trouve Timothée, le propre petit frère de Georges, envoyé là par ses infâmes parents.
Pour ce déplacement, Loïc et Carla ont changé de prénom, ils s’appellent désormais Rose et Georges.

ILLUSTRATION 2
Rose

Un camion militaire passe, ils se cachent. Il est dangereux de se déplacer sur les routes. Ils décident donc d’emprunter les petits chemins passant par la forêt. Leur « excursion » se déroule sans encombre quand sort soudain des buissons une famille de sangliers. Cet élément surprend nos protagonistes, les déstabilise. Puis ils repartent en direction du bagne.
Et voici qu’ils croisent une silhouette, grande, mince, qui semble les interpeler.
 Héééééé, bredouille le personnage avant de s’écrouler et de s’endormir. C’est un caporal allemand, totalement ivre. Ils l’assomment avec une grosse pierre trouvée le long du chemin et décident de prendre ses vêtements, pour se déguiser.
Peu après ils approchent du bagne. Il fait encore nuit. Ils espèrent que les gardes somnolent. Ils ont prévu d’entrer par la porte des livraisons, de se partager le travail. Elle ferait l’étage de gauche, lui celui de droite.
Le bagne est devant eux mais là, une surprise les attend.

Chapitre deux
L’infiltration

« Halte ! » leur crie un garde allemand.
Nos deux héros prennent peur. Tremblants, ils se retournent alors que la silhouette de la sentinelle s’approche lentement d’eux dans la nuit.
 Que faites vous là à une heure pareille ? Et puis qui est cette fille qui vous accompagne ; on n’est pas censés recevoir des visites ici ?
 Je…enfin…heu…ben… Georges panique.
 Reste calme, lui dit Rose, sinon il va se douter de quelque chose.
A cet instant, le soldat se reprend :
 Veuillez m’excuser, mon caporal. Je ne vous avais pas reconnu dans la pénombre. A vos ordres, caporal !
Georges se ressaisit. Rassuré que sa supercherie fonctionne, il répond en prenant un ton décidé :
 Oublions cela, voulez-vous !
Puis il improvise :
« J’ai trouvé cette espionne sur la plage ; c’est une française ; à mon avis, elle voulait obtenir des informations sur notre arme secrète. Je l’emmène à la prison.
Ce qui donne à peu près en allemand :
« Hallo ich habe diese Frau am Strand gefunden. »

Le soldat lui répond :
« Vous pensez que c’est une fille suspecte ? une infiltrée de la Résistance, caporal ?
 Je crains que cette question ne relève pas de vos fonctions, soldat. D’ailleurs, quand finissez-vous votre tour de garde ?
 Dans deux heures, caporal.
 Très bien, retournez à votre poste.

Georges et Rose se dirigent alors vers les bâtiments.
 On l’a échappé belle ! c’est bon, c’est fini, tu peux respirer, murmure Rose.
 Oui, on a eu chaud. Je ne savais pas quoi dire. J’aurais pu raconter que tu étais la nouvelle cuisinière, que tu préparais très bien le cassoulet avec la saucisse de Francfort !
 Mais, au fait, depuis quand tu parles allemand, toi ?
 Lorsque j’ai appris que j’allais participer à cette mission, je me suis dit que ce serait utile.
 Bravo, tu m’apprendras quelques mots pour que ce soit plus crédible.
Ils rient, tout doucement.

ILLUSTRATION 3
Le laboratoire

Ils n’ont pas vraiment de plan. Ils pensent organiser une mutinerie des enfants au cours de laquelle ils renverseraient l’organisation nazie.
Grâce à leur présence dans ce bagne il y a dix ans, ils peuvent reconnaître les lieux et se remémorer ses nombreux itinéraires.
Ils se séparent.
Georges se rend à la salle de contrôle ; il tombe sur un autre soldat. Il continue de jouer au caporal et demande au militaire de sortir car il aurait entendu du bruit dehors, il veut que ce dernier regarde si tout est normal ; il va le remplacer. L’autre sort. Georges accède aux commandes de la radio. Notre faux caporal branche le micro et lance aussitôt ce message :
« A toutes les unités, on a repéré des Britanniques en grand nombre en train de débarquer sur la côte ouest de Belle-Ile. On a besoin de renfort dans ce secteur ! Je répète : A toutes les unités… »

Toute la résidence semble alors se mettre à trembler tant les Allemands se précipitent de partout, courent dans tous les sens et s’en vont vers la côte ouest, en criant : Schnell, schnell (vite, vite !).

Georges remarque sur un bureau un dossier intitulé « Secret. Arme X ». Interloqué il s’en empare et découvre avec stupeur que l’arme dont les Allemands sont si fiers n’est que du vent, de la propagande pour effrayer les ennemis.

Pendant ce temps, Rose passe dans les étages, traverse les dortoirs.
« Reveillez vous, les gars, c’est l’heure de la liberté. Mais pas un bruit, sinon c’en sera fini pour vous…et pour moi. »

Le premier étage est vide mais pas de trace de Timothée. On évacue l’autre dortoir ; certains jeunes descendent même par les fenêtres du premier étage le long de draps dont ils se servent comme d’une corde.
Rose espère trouver Timothée dans la dernière chambre de l’étage mais toujours rien.

A présent, les occupants allemands ont quitté (provisoirement) le bagne, les jeunes prisonniers, eux, vont se sauver, on a compris que l’arme secrète, c’était bidon. Problème : on reste sans nouvelle de Timothée.

Dans la cour, un garçon s’approche, il parle avec une voix rauque : Georges le reconnaît. C’est Francis, un ex compagnon de bagne. Lui est au courant de la situation de Timothée.
 Les gardes n’ont pas ménagé ton frère, dit-il, pour la simple raison qu’il était le frère de l’évadé …
Il ajoute :
 Désolé mais je crois qu’il est dans un piteux état.

Mais où est-il ? A cet instant, Rose et Georges remarquent, en bas d’un des bâtiments, une porte qui donne sur ce qui a l’air d’être une cave. Une lumière au dessus de l’entrée grésille irrégulièrement. Des pas se rapprochent, une ombre passe rapidement, celle d’un homme qui porte des flacons. La lumière éclaire sa blouse blanche. Un docteur ? « Le docteur Einvahr ! » dit Rose. Comment sait-elle cela ? L’homme descend les escaliers, son ombre disparaît, ses pas s’éloignent.

Rose et Georges suivent l’étrange personnage. Ils tombent sur un long couloir lugubre, sombre, mal éclairé. Dans cet espace, ils comptent onze portes, cinq de chaque côté du corridor plus une pièce au fond. Le « docteur », qui ne semble pas avoir réalisé qu’il était suivi, entre dans cette dernière pièce en claquant violemment la porte derrière lui.

A leur tour, le jeune homme et sa compagne entrouvent cette même porte. Au milieu de la pièce, une table d’opération est installée. Et sur la table est attaché…Timothée.

Chapitre trois
La délivrance

Voici comment finit leur mission.
Rose et Georges sont encore cachés derrière la porte et s’apprêtent à sauter sur le docteur quand une voix les interpelle :
 Que faites vous ici mon caporal ?
Georges se retourne. Derrière lui, le soldat allemand blêmit et s’écrie :
 Mais vous n’êtes pas mon caporal !
Le garde sort son arme, les menace.
 Qui êtes vous ? Que faites vous ici ?
Georges est incapable de répondre. S’écoulent cinq secondes qui paraissent interminables. Puis tout va très vite. Un cri de douleur, qui vient de la pièce, déchire le silence. Alors, en une fraction de seconde, Georges profite de l’effet de surprise, saute sur le garde, le désarme et l’assomme. Au même moment Rose qui pénètre dans le laboratoire s’empare d’un flacon, d’acide, et le fracasse sur la tête du docteur. Le dangereux liquide se répand sur le visage de ce dernier.

ILLUSTRATION 4
Bateau avec les enfants

Les deux « visiteurs » se précipitent vers Timothée, coupent avec un couteau les lanières qui attachent ses poignets et ses chevilles. Le jeune homme suffoque.
 Respire, Timothée, il faut que tu respires, tu vas t’en sortir.
Le petit frère de Georges articule avec peine :
 Sauve moi !
Il a encore la force de dire qu’un autre cobaye se trouve dans la pièce du fond. Ce sont ses derniers mots, le jeune garçon meurt dans les bras de Georges. Fou de rage, celui-ci hurle, défonce le laboratoire à coups de pied, frappe et menace le docteur :
 Je vais te tuer !

Il pense prendre son frère sur ses épaules et le sortir de là, puis il y renonce. Car Rose, qui a libéré l’autre détenu, affaibli et traumatisé, l’appelle avec insistance. « Dépêchons nous ! » Ensemble ils rejoignent les bagnards dans le parc et tous s’empressent de quitter le domaine pour atteindre la plage.

Alors que la petite troupe s’échappe, le docteur agonisant a encore la force de téléphoner et d’alerter les militaires allemands déjà de retour vers la résidence.
Francis a alors l’idée de faire diversion. Les Allemands, se dit-il, vont deviner que les fugitifs vont vers le port, plein sud, pour chercher un bateau. Francis prend alors la direction du nord, vers la forêt. Avec le pistolet du nazi assommé dans la cave, il se met à tirer et attire ainsi sur lui l’ennemi. Combat inégal. L’occupant l’attaque à l’arme lourde ; du port, tout le monde entend l’écho des coups de fusils, de mitraillettes, de grenades. Puis le bruit cesse, Francis s’est sacrifié. « Il est mort mais il est mort libre » songe Georges.

Dans le port attendent deux bateaux. Rose et Georges font embarquer les enfants dans l’un, qui s’appelle « Délivrance » et sabordent l’autre qui coule aussitôt. Leur navire lentement quitte l’île. Heureusement, quand les Allemands arrivent sur le quai, l’embarcation des anciens bagnards est déjà loin, loin de ce lieu maudit. Les soldats leur tirent dessus mais sans atteindre « Délivrance », au large, voguant vers le continent.

FIN



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