Marguerite Duras, in Le Maîtron, Dictionnaire biographique. Mouvement ouvrier, mouvement social, tome 4, les éditions de l’Atelier, pp 432-434, 2008

Née près de Saïgon, en 1914, l’écrivain Marguerite Duras rejoint la Résistance en 1943, adhère et milite au PCF, de 1944 à 1949. Alors qu’elle écrit notamment « Un barrage contre le Pacifique » (1950). Son exclusion du PCF donne lieu à un long procès stalinien à Saint-Germain-des –Prés.

Marguerite Duras est née en Indochine, où son père était professeur de mathématiques et sa mère institutrice. Elle arrive à Paris en 1932 pour faire des études de droit, de mathématiques et de sciences politiques. Elle épouse Robert Antelme en 1939. Elle a 28 ans lorsque le couple s’installe au 5 de la rue Saint Benoît, au coeur du Quartier Latin, en 1942. Marguerite Duras travaille alors au « Cercle de la librairie », une commission de contrôle du papier pour l’édition, c’est à dire en fait un organisme officiel chargé de la censure. Dans le même temps (1943), elle participe avec Robert Antelme et Dyonis Mascolo à un mouvement de résistance dirigé par François Mitterrand, le Mouvement national des prisonniers de guerre et déportés, le MNPGD.
Elle adhère au PCF, fin 1944, et fera adhérer, quelques mois plus tard, Robert Antelme ( arrêté à la veille du débarquement, il avait été déporté à Dachau où Mitterrand le retrouve en mai 1945) et Dyonis Mascolo, devenu son compagnon.
Cinq années durant, elle sera une militante exemplaire respectivement de la cellule 742 puis de la cellule 722, toutes deux au coeur du village germanopratin, une activiste tenant une comptabilité précise de ses initiatives comme le collage d’affiches, la diffusion de tract, la solidarité avec les plus démunis, la vente du journal L’Humanité, la présence aux réunions de cellule qui sont hebdomadaires voire bihebdomadaires. Elle sera pendant un an secrétaire de cellule et se verra proposée comme déléguée à conférence fédérale de la Seine mais elle refuse et choisit de rester à la base, récusant toute idée de promotion.
Dans ses archives, au dos d’un tract intitulé « Le PCF organise pour vous le lundi 27 mai à la salle de société d’encouragement une grande assemblée d’information », elle a écrit :
« -Politique : calme – nous allons batailler sur amélioration des salaires et du ravitaillement. Points essentiels : pas d’action extrémiste. Obtenir marché libre de certaines denrées.
 Constitution : nous ne désarmerons pas. L’unité avec les socialistes est la réussite de notre politique. Obtention d’une loi électorale. Proportionnelle électorale.
 Local : nous sommes satisfaits de nos nouvelles méthodes. Efficacité de nos tracts. Ne pas forcer l’opinion. Diffuser le plus possible notre littérature à domicile – prise de contact avec des sympathisants. Base de travail. »
C’est l’époque où son ami Audiberti l’appelle affectueusement « ma tchékiste » et où une photographie la représente en tenue de choc, gabardine austère et stricte ceinture . Dans une lettre adressée un peu plus tard à la direction du PCF, elle écrira par exemple :
« Le parti a dit qu’il fallait faire du porte à porte. J’ai fait du porte à porte. Le parti a dit qu’il fallait faire des collectes. J’ai fait des collectes aux terrasses des cafés et ailleurs. Le parti a demandé, comme il était indispensable qu’on accueille des enfants de grévistes. J’ai recueilli pendant deux mois la fille d’un mineur. J’ai fait signer les ménagères sur les marchés, j’ai collé l’Huma, j’ai collé des affiches, j’ai contribué à faire inscrire Antelme, Mascolo, d’autres encore, etc. Tout ce que j’ai pu faire, je l’ai fait. »
Dyonis Mascolo dira de son activité communiste :
« Des mois durant, avec une générosité insouciante, en silence, le plus à son aise dans les tâches qu’elle s’imposait d’achever sans témoin, sans reconnaissance possible, elle vécut un oubli de soi si parfait qu’elle semblait n’être plus capable de connaître le désarroi qu’aux moments où elle ne trouvait pas à s’absorber suffisamment dans un travail de dévouement amoureux. »
Autour de Duras, Antelme et Mascolo, l’appartement de la rue Saint Benoît est une sorte de camp de base où se retrouve une pléiade d’intellectuels critiques et inventifs : Francis Ponge, Clara Malraux, Edgar Morin, Jorge Semprun, Maurice Merleau-Ponty, Claude Roy, Raymond Queneau, Michel Leiris, George Bataille, Jean-Michel Atlan, Jean Duvignaud, les Desanti, Dominique et Jean-Toussaint dit Touki, parfois Romain Gary ou Lacan...
Les désaccords de la rue Saint Benoît avec l’orientation officielle du PCF apparaissent dès 1948 ; elles sont essentiellement d’ordre esthétique et portent sur l’approche culturelle du parti. A un moment où Laurent Casanova, responsable des intellectuels, définit un jdanovisme à la française, Marguerite Duras et les gens de Saint Benoît mettent en avant le rôle de l’intelligentsia comme « avant garde idéologique » et l’autonomie de la création. Ils expriment ces thèses lors des fameux débats du « cercle des critiques » du printemps 1948, croient même que leurs positions l’emporteront mais ils se voient finalement désavoués. Pour Dyonis Mascolo , « de la date, comme on peut comprendre, notre démission intérieure. Il nous faudra un peu plus d’un an pour l’accomplir dans les formes. Mais nous la pratiquons déjà dans la vie quotidienne. C’en est fini de supporter parmi nous la présence d’amis-ennemis. Nous les tenons désormais à l’écart ou, pour employer ce mot, les excluons de nous les premiers ».
Un an plus tard, en mai 1949, Marguerite Duras et ses amis, attablés au café Bonaparte après une réunion de cellule, plaisantent notamment sur Laurent Casanova. Leurs propos, rapportés à la direction ( par Jorge Semprun), serviront de motif à un long procès stalinien qui se conclura par l’exclusion de la plupart d’entre eux, début 1950.
En fait, suite au mauvais climat dans la cellule et à des divergences d’ordre artistique, Marguerite Duras, moins directement impliquée dans ces débats qu’Antelme ou Mascolo, n’avait pas repris sa carte début 1950. Elle se verra néanmoins exclue comme ses compagnons. Lesquels font appel de leur mise à l’écart. Au printemps de cette année, l’écrivain adressera une lettre à la direction pour prendre leur défense. Elle y précise qu’elle ne demande rien pour elle ( « Je n’ai pas l’intention de demander ma réintégration au Parti. »), se considérant définitivement hors jeu. Elle y redit ses désaccords esthétiques :
« Ce que je ne peux pas faire, c’est de modifier mes goûts, par exemple littéraires, qui sont ce qu’ils sont mais auxquels il m’est physiquement impossible de renoncer ».
Elle termine sa lettre sur un ton grave :
« Je reste profondément communiste, je ne vois pas comment je pourrais être autrement désormais. Ai-je besoin de dire dans ces conditions que non seulement , je ne m’associerai jamais à rien qui puisse nuire au Parti mais que je continuerai à l’aider dans la mesure de mes moyens ! »
Au terme d’une longue procédure, le secrétariat fédéral de la Seine, le 17 janvier 1951, décide tout de même « une exclusion d’un an » pour elle et ses camarades de St Benoît. Concernant Marguerite Duras, on peut lire :
« N’émet que des divergences d’ordre esthétique avec le Parti. A la réputation d’être nymphomane, ce qui n’est pas prouvé. Certainement des moeurs légères. A appartenu à la censure sous l’occupation allemande. Manifeste un mépris assez souverain à l’égard des membres de sa section qu’elle souhaitait ne plus rencontrer, ce qui est à l’origine de sa démission du Parti. Fait appel de son exclusion. Tout cela est irréfléchi et cavalier à l’égard du Parti. Je propose un blâme et suspension d’un an à partir de la décision définitive. »
Sollicités, au terme de cette année d’exclusion, pour réintégrer le PCF, les exclus refusent de revenir au parti.
1950 marque donc pour Marguerite Duras le temps du « désengagement » .
C’est l’époque où elle évoque pour la première fois, dans son troisième roman « Un barrage contre le Pacifique », son pays natal. Le livre rencontre un grand succès et sera même sélectionné pour le Goncourt mais il ne sera pas retenu. Livre inépuisable, « Un barrage... » est en quelque sorte son « roman fondateur ». C’est le te temps du désengagement, donc ,et en même temps, tout indique que Marguerite Duras ( l’équipe de Saint Benoît également) a durablement rêvé d’un idéal communiste qu’avait incarné à ses yeux l’écrivain italien, et ami, Elio Vittorini. Elle s’était reconnue pleinement dans sa longue lettre à Togliatti, en 1947, intitulée « Politique et culture » où il plaidait pour « une révolution extraordinaire » :
« Si j’exprime la crainte que nos efforts d’écrivains révolutionnaires ne soient pas reconnus comme tels par nos camarades politiques, c’est parce que je vois bien que nos camarades politiques ont tendance à reconnaître comme révolutionnaire la littérature arcadienne de ceux qui embouchent la trompette de la révolution plutôt que la littérature qui contient de telles exigences, la littérature dite, aujourd’hui, de crise » .
Il définit sa conception du communisme (« une révolution individualiste »), théorise sur l’engagement, l’autonomie de la culture. Pour Laure Adler, « Marguerite Duras choisit de suivre le modèle que proposait Vittorini : l’intellectuel libre, communiste, pas forcément marxiste, communiste affectif, protestant » . Un communisme moral, libertaire, exalté, idéaliste. Pour Duras, le mot signifiait « utopie messianique, idéal de partage des richesses ; abolition des classes sociales. Communisme : la famille, une manière alors de vivre, d’aimer, de lire, de discuter. Elan, ténacité, espoir »
Une conception du communisme bien différente de celle du catéchisme rigoriste alors en vigueur dans les cellules du PCF. « Leur communisme, dit Maurice Nadeau , appartient aussi bien à Hölderlin qu’à Marx, il a sur la Révolution une avance que ne supporteront pas les staliniens. Il refuse catégoriquement le non-homme de l’homme armé de raison, instruit de morale et soucieux de perfection. » Marguerite Duras manifestera, sa vie durant, son attachement à l’idée communiste. « Marguerite, après son exclusion, continuera à se proclamer communiste mais libre de le redevenir chaque matin, libre de le redéfinir chaque nuit. A la fin de sa vie, elle confiait qu’elle était toujours communistes. » En 1993, elle déclare à Benoît Jacquot dans une conversation inédite, prélude à Ecrire :
« L’espoir communiste ne m’a jamais quittée. Je suis comme une malade de l’espoir, de l’espoir que je mets dans le prolétariat. » La même année, invitée par France 3 au journal de Christine Ockrent, « Le soir sur la 3 », à la question posée par Guy Lagache : « Pour qui allez vous voter ? », elle réplique : « Je vais voter communiste. Cherchez pas à comprendre. » L’année suivante, encore, le 8 avril 1994, elle répète : « Je voudrais me réinscrire au Parti communiste. Je le ferai ».
Marguerite Duras publia de nombreux romans, notamment Moderato cantabile (1958), Le ravissement de Lol V. Stein (1964), L’Amant (1984), prix Goncourt ; elle écrivit des scénarios (Hiroshima mon amour), tourna des films, fit jouer des pièces de théâtre (Des journées entières dans les arbres). Elle est morte le 3 mars 1996.

SOURCES
Laure Adler, Marguerite Duras, Gallimard, 1998
Gérard Streiff, Procès stalinien à Saint-Germain-des-Prés, Syllepse, 1999
Dominique Denès, Marguerite Duras, écriture et politique, L’Harmattan, 2005



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