Grigny 2015

« Charlie » vu de Grigny
Réunir, dialoguer, riposter

Grigny est dans le collimateur de la droite. « Grigny, la ville de Coulibaly » titre sans vergogne Le Figaro (15/01) dans un reportage montrant le quartier populaire de la Grande Borne comme un repère de djihadistes, où la jeunesse serait naturellement solidaire du tueur de Vincennes ! Une caricature qui veut faire oublier que Grigny est d’abord une grande ville populaire, une ville-monde, une ville jeune, dirigée par un communiste, Philippe Rio (élue au premier tour au printemps 2014), où le PCF et le Front de Gauche, les militants, les élus se bougent pour dialoguer, rassembler et combattre la désespérance.
Dès l’annonce du drame, mercredi 7 janvier, nous dit Amadou Démé, secrétaire de la section PCF et élu municipal, les communistes ont alerté leur réseau. Au fil de précédentes initiatives, les militants avaient accumulé en effet un ensemble de coordonnées, 2500 numéros de portables, 2000 adresses mail, plus de 5000 contacts. Dès 16heures, ce jour-là, donc, une invitation à se rassembler était envoyée. A 19 heures, plus de 300 personnes se retrouvaient autour du maire, élus, responsables, représentants des communautés religieuses, membres d’associations, citoyens. Un rassemblement de condamnation, de compassion et d’apaisement. Avec un message : « A Grigny comme partout, on veut vivre ensemble, dans le respect de l’autre, le respect de la laïcité. »
Le lendemain, jeudi 8, jour de marché, un tract du PCF était distribué. « Bien sûr, on a beaucoup discuté, sur le marché, et on a pu entendre un peu de tout mais on était là pour argumenter », ajoute Amadou Lémé. Le même jour, une minute de silence est organisée en mairie. Plus de cent cinquante personnes y participent.
Jeudi toujours se tenait une réunion, prévue de longue date, avec le maire, des « jeunes diplomés » pour faire passer ce message d’espoir : on peut être de Grigny et diplômés de grandes écoles, être jeune Grignois et réussir.
Des vœux remarqués
Samedi, Philippe Rio, entouré pour l’occasion de plusieurs maires communistes solidaires, présentait ses vœux. « Nous sommes tous Charlie mais aussi Ahmed, Mustapha, Michel, Elsa, Bernard et les autres ». Il rappelait comment la ville, ses habitants se sentaient victimes « par ricochet » du drame . Evoquant ses rencontres avec les différentes communautés, il déclarait : « Nous sommes tous conscients de la division qui nous guettait et nous avons tous affirmé que la vie était sacrée ». Montrant que l’intégrisme se nourrissait de la misère, il fustigeait le désengagement de l’État et terminait son propos par un « Vive la vie ! » percutant.
Samedi, encore, nouvelle réunion entre les élus, des représentants de la Communauté de l’Afrique de l’Ouest. Des liens étroits existent entre ces responsables, notamment tissés lors des événements survenus au Mali. A cette rencontre participait un imam progressiste malien. Les uns et les autres ont fait part de leurs inquiétudes, par exemple devant le cas de jeunes gens, de jeunes filles qui ont basculé dans le fanatisme du jour au lendemain. « Ça interroge tout le monde » note le responsable communiste.
De la même manière ont été sollicités les parents d’adolescents de la cité pour les responsabiliser. « C’est un travail qu’on a déjà engagé, dit Amadou Démé, qu’il faut amplifier. Mais ça va être long. D’autant que tout ça n’est pas déconnecté, bien au contraire, des questions sociales . »
Dimanche 11 janvier, Grigny était à la manifestation parisienne. En tout cas la ville était fortement présente, le journal Le Monde a même consacré un reportage photo à cette participation : deux cars, de nombreux Grignois venus aussi par le train. On y voit notamment une manifestante, Maryse, dire : « On est dans la peur mais en même temps, il y a cette force, cette solidarité, il y a de l’espoir aujourd’hui ».
La presse, de droite, a monté en épingle des incidents survenus lors de la minute de silence dans les collèges. « On a eu les échos de tels comportements, dit Amadou Démé. Je dirais que se sont posées beaucoup de questions complexes. On n’a pas de leçons à donner, il faut écouter, entendre, comprendre. » Débattre, encore, faire de la politique.
« On ne met pas en avant les questions sécuritaires dans ce débat » dit Amadou Démé, mais il y aurait beaucoup à dire sur l’hypocrisie du pouvoir qui parle sécurité mais qui délaisse la protection des Grignois. Le commissariat manque de moyens (il ferme à 18h) ; si l’on veut porter plainte, il faut aller à Juvisy. Le manque de moyens est général pour tous les services publics : poste fermée ou totalement surchargée (prévoir une à deux heures d’attente pour retirer un colis) ; idem concernant la santé, l’école, la rénovation urbaine. « On est en face d’un vrai refus du progrès social. Les paroles ne suffiront pas, il faut s’attaquer aux questions sociales » conclut Amadou Démé.
Propos recueillis par Gérard Streiff



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