Revue novembre 2022

Sondage

Inquiétude pour l’hôpital

Présenté au salon Santexpo en mai dernier, à Paris, le dernier baromètre 360 Odoxa réalisé pour la Mutuelle nationale des hospitaliers (MNH), réalisé auprès de plus de 3000 Français et près de 500 professionnels de santé, souligne que les deux tiers des Français et la quasi totalité du personnel soignant (93%) s’attendent à une dégradation du système de santé publique. Et tous se disent prêts à manifester pour le défendre. L’hôpital est un sujet de mobilisation pour 81% des Français, 87% du personnel soignant.
Près d’un Français sur deux dit avoir des problèmes pour payer le reste à charge après une consultation ; plus d’unn tiers d’entre eux ont des difficultés à se rendre à l’hôpital contre 10% en 2016.
Ce sont les personnes les plus modestes ou ceux qui résident dans des communes de moins de 20 000 habitants qui ont vu leur accès aux soins se dégrader.
En même temps, l’opinion éprouve un sentiment très positif à l’égard de l’hôpital et de son personnel. 90% des français disent avoir été « traités humainement ». Pour Gael Sliman, président de l’agence Odoxa, la population reste « amoureuse du personnel soignant » toujours « très bien considéré ». Le système de santé publique à la française est « notre trésor national » ajoute-t-il.
Notons enfin que les professionnels de santé restent très critiques pour leurs conditions de travail, malgré le « Ségur de la santé ». La grande majorité d’entre eux (80%) ne recommande pas à leurs enfants d’embrasser la carrière.
GS

Trois graphiques

Pensez-vous qu’à l’avenir notre système de santé et notre hôpital seront plutôt meilleurs ou moins bons qu’actuellement ?

Ensemble des Français
Meilleurs 33%
Moins bons 66%

Professionnels de santé
Meilleurs 7%
Moins bons 93%

Avez-vous une très bonne, bonne, mauvaise opinion
 des infirmières
tres bonne 61%
bonne 35%
mauvaise 4%
 des médecins
tres bonne 46%
bonne 46%
mauvaise 8%

Concernant vos conditions de travail, avez vous assez de temps pour accomplir votre travail ?
 salariés
d’accord 68%
pas d’accord 32%
 professionnels de santé
d’accord 33%
pas d’accord 67%

Droite vs woke. Ou dérives vs obsession.

Depuis des mois, le Figaro multiplie les papiers polémiques contre la « pensée woke ». Le journal consacre à ce thème une place invraisemblable, ses plumes commentent à n’en plus finir tout signe de dérive identitaire. Ce faisant, le quotidien en exagère manifestement l’importance. C’est un peu comme si ce sujet représentait pour elle l’adversaire caricatural et idéal.
Responsable de la rubrique idéologique, Eugénie Bastie mène la charge contre cette « radicalisation venue d’Amérique » et parle « de nouvelle trahison des clercs », thèmes qu’elle reprend dans son livre « La guerre des idées ». Anne de Guigné, de la rubrique économique du même journal, publie un essai sur « Le capitalisme woke » où elle détaille et fustige « les dérives des entreprises tentées de s’aventurer sur le terrain des valeurs (woke) ». Au palais du Luxembourg, le groupe LR impose un débat sur « le wokisme qui a traversé l’Atlantique pour devenir une bannière sous laquelle des militants tentent de fracturer l’unité républicaine ». Le très réactionnaire Max Brisson somme le gouvernement de « réagir fermement à la repentance perpétuelle, aux déboulonnements de statues et à l’écriture inclusive qui se vulgarise dans l’enseignement supérieur ». Pur délire, dira-t-on, alors que le même sénateur doit admettre que 90% des Français « disent ne jamais en avoir entendu parler ». Le président Macron lui fait cependant répondre, via sa secrétaire à la Jeunesse, qu’il garde un œil sur « la menace du wokisme qui vient des USA » !

Qu’est ce qui se cache derrière cette pseudo-indignation de la réaction ? La droite croit-elle vraiment que le wokisme menacerait la civilisation ? Des éléments de réponse se trouvent sans doute dans les textes du colloque qui s’est tenu, début janvier, à la Sorbonne, intitulé assez pompeusement « Après la déconstruction : reconstruire les sciences et la culture » et consacré (comme cet intitulé ne le dit peut-être pas) à la pensée woke. L’initiative, financée par le ministère de l’éducation, s’est déroulée en présence de l’ex ministre Blanquer. Elle a réuni une soixantaine d’universitaires, conviés par Pierre-Henri Tavoillot, président du Collège de philosophie, avec pour partenaire le Comité Laïcité République et l’Observatoire du décolonialisme en la personne de son rédacteur en chef Xavier-Laurent Salvador. Répartis en trois sections et douze tables rondes, les intervenants ont pu dire tout le mal qu’ils pensaient de la « déconstruction », concept qui chapeaute, englobe, recouvre désormais à leurs yeux la pensée woke.

L’ex ministre Blanquer est longuement intervenu à l’ouverture des travaux. Une intervention faite à la va vite, genre : « Il s’agit de re-républicaniser l’école car l’école de la République est une école de la République (sic, tous les discours sont consultables sur le site de L’observatoire du décolonialisme). Certains cherchent à ringardiser l’approche française de la laïcité, à nous dire qu’elle serait un concept spécifiquement français, incompréhensible ailleurs. Je prétends totalement le contraire. Il y a d’autres pays que le nôtre qui ont connu ou qui connaissent la laïcité à commencer par la Turquie ou l’Uruguay… ». Mais on comprenait vite qu’à ses yeux, pour reprendre une formule d’Elisabeth Roudinesco ( voir ci dessous), les partisans de la pensée woke « ne seraient qu’un ramassis de néoféministes, d’islamo-gauchistes, de déboulonneurs de statues, de LGBTQIA+, adeptes de la « culture de l’annulation » (cancel culture), tous complices des attentats contre Charlie Hebdo et Samuel Paty. Ils auraient ainsi « gangrené » l’université française pour la transformer en un vaste campus américains ».

Dans le sillage du ministre, on entendit ainsi Mathieu Bock-Côté, gourou de l’ultra droite zemmourienne ; Pierre-André Taguieff qui qualifia Derrida de chef « de secte intellectuelle internationale hostile à l’homme blanc » et assimila le wokisme à un « ethnocide » ; l’historien Pierre Vermeren expliquant que tout cela était la faute de la « décomposition dramatique et sanglante de l’Algérie française », que la France était devenue en somme une colonie africaine dominée par trois « déconstructionnistes » venus d’Algérie, Derrida ( encore), Althusser et Hélène Cixous ! Des dérives (woke) d’un côté, des outrances de l’autre : quel étrange colloque qui se proposait pourtant de « reconstruire les sciences et la culture ».

Mais le propos le plus étonnant, le plus révélateur peut-être fut tenu par l’hôte de ce symposium, Pierre-Henri Tavoillot, du collège de philosophie. Il expliqua qu’il y avait déconstruction et déconstruction et théorisa dans un long exposé sa conception de l’histoire de la philosophie moderne : il y a eu trois temps, dit-il, trois âges dans le processus de déconstruction : une déconstruction positive en quelque sorte, celle initiée par Descartes, Spinoza, fondateurs de la raison et de l’humanisme ; puis vint une déconstruction un peu plus bancale, en tout cas plus radicale, « à coup de marteau », celle de Schopenhauer, de Nietzsche, de Freud, de Marx ; enfin est arrivé le troisième temps, celui des méchants, les vrais méchants, Derrida, Foucault, Lacan, Bourdieu and co, ligués à leur manière contre la République, la laïcité et la démocratie. Le problème de ces susnommés, c’est qu’ils déconstruisaient pour le pur plaisir de déconstruire ; ce sont eux qui auraient exporté leurs thèses aux USA qui nous reviennent à présent sous la forme de la « french theory » ou wokisme, avec toute sa rhétorique sur les dominations de race, de genre, de religion, ses prétentions à l’intersectionnalité, ses idées que tout est domination, que le colonialisme européen est le pire du pire, que les décolonisations sont des illusions tout comme le féminisme, etc. Ce troisième temps est celui de la « pensée 68 », le temps de l’anti-humanisme », de l’anti-démocratie si parfaitement décrit par Luc Ferry et Alain Renaut dans leur essai, insiste Tavoillot qui nous ressert sans vergogne les thèses de ces deux auteurs.

Ainsi fonctionne en boucle la pensée de la droite macronienne, nostalgique d’un monde d’avant, d’avant 68, d’avant Marx et Freud aussi. Sa dénonciation (facile) d’outrances identitaires lui permet de justifier son monde, inégalitaire, autoritaire et dur aux non alignés.

Gerard Streiff

Extraits

« On sait que les revendications identitaires, qui travaillent la société occidentale, sont nées d’un phénomène de repli sur soi postérieur à la chute du mur de Berlin. Et s’il est vrai que les chercheurs qui les théorisent souvent de manière outrancière s’inspirent aujourd’hui, au moins en partie, des penseurs français des années 1970, cela ne signifie pas que les uns et les autres soient coupables d’un « ethnocide » (Taguieff) anti-occidental. A cet égard, les universitaires réunis dans ce conclave devraient, en vue de leur prochain colloque, réviser leur copie : on ne combat pas des dérives en faisant la guerre à l’intelligence. »

Elisabeth Roudinesco, Le Monde, 21 janvier 2022



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