Revue du projet, 17, mai 2012

http://projet.pcf.fr/23752

Classe moyenne
Mot creux et réalité innommée

L’expression de classe moyenne demeure omniprésente. Foutaise ou concept ? Cette pure construction idéologique a permis bien des manipulations. Concept bricolé, l’expression traduit en même temps un « rêve », une aspiration à l’élévation sociale. Mais avec l’approfondissement de la crise, l’accroissement des inégalités, la notion « fonctionne » moins bien ces temps ci. Et elle traduit un manque d’analyse des classes telles qu’elles opèrent aujourd’hui. Un travail à venir.

Le terme de classe moyenne semblerait toujours autant à la mode, dans les librairies en tout cas. Une avalanche d’essais décline ces classes moyennes à toutes les sauces : « Les classes moyennes à la dérive » de Louis Chauvel ( Seuil), « Les nouvelles classes moyennes » d’Eric Maurin et Dominique Goux ( Seuil), « La lutte des classes moyennes » de Laurent Wauquiez ( Odile Jacob), « Le chagrin des classes moyennes » de Nicolas Bouzou ( JC Llattes), « La fin des classes moyennes » de Massimo Gaggi et Edoardo Narduzzi ( Liana Levi), etc. Le terme n’est pas nouveau, c’est le moins qu’on puisse écrire. On le voit fleurir dès les années 60/70, à partir de l’idée qu’une partie des classes populaires se seraient « embourgeoisées ». La notion va surtout servir d’arme de guerre idéologique très disputée tant par la droite que par la social démocratie (et sur le tard par les écologistes, genre Alain Lipietz et son essai « La société en sablier »). Terra nova par exemple, un Think Tank socialisant, y voit le terrain de prédilection d’une gauche qui saura défendre ce groupe contre le déclin alors que les sarkozystes prétendent valoriser ce même groupe en lui épargnant une fiscalité étouffante. Au point que Le Figaro (29/2/12), résumant la campagne des présidentielles, titre « La bataille des classes moyennes est engagée »

On remarquera qu’il n’existe pas de définition de la classe (ou des classes) moyenne(s) ; comme dans une auberge espagnole, chacun apporte la sienne. Est considérée comme classe moyenne tout ce qui se situerait au dessus des classes pauvres et en dessous des classes aisées, bonjour la précision ! Pour les uns, cette classe est constituée par les petits patrons et tous les « intermédiaires » selon les critères de l’Insee ( artisans, profs, cadre B, commerciaux) ; pour d’autres, il y a les moyens supérieurs ( ingénieurs, profs de fac) et les moyens inférieurs ( infirmiers, instits, etc). D’autres encore évaluent la classe moyenne en fonction du revenu ; on navigue entre une évaluation étroite, de 1200 à 1840 euros mensuels ( dixit l’Observatoire des inégalités) ou une fourchette plus « large », de 1200 à 3000 euros.
Ou alors on parle en terme de masse : ici on peut lire par exemple (Maurin et Goux) que cette classe moyenne représenterait 30% de la population contre 20% de classe supérieure et 50% d’ouvriers/employés ; là on prétend qu’elle représente « l’essentiel du corps électoral français » (Le Figaro). Bref, c’est un peu du n’importe quoi.

Un autre élément de « caractérisation » est parfois avancé, celui de capital culturel, d’ascension sociale par le travail, d’accès à la consommation ; on est très proche d’une notion cousine qui est celle de « l’american way of life », formidable mythe depuis la seconde guerre.
Ces attributs assez confus surfent sur – et favorisent - l’idée, assez répandue, d’appartenance à la classe moyenne, d’envie d’appartenance à cette classe. Selon une enquête Insee sur « Sentiment d’appartenir à une classe sociale et situation par rapport à l’emploi » (http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/IP979.pdf) , 40% des sondés s’identifiaient à la classe moyenne, 23% à la classe ouvrière, 4 à la bourgeoisie, 8 à la classe défavorisée, 8 à la classe privilégiée, 9 à un groupe professionnel, 2 à un groupe social et 6 à autre chose.

En vérité, si l’expression de classe moyenne est un bricolage conceptuel permettant bien des manipulations idéologiques, elle traduit surtout un manque, celui d’une véritable analyse des classes sociales telles qu’elles opèrent au jour d’aujourd’hui. Un sociologue comme Jean Lojkine, par exemple, pointe cet enjeu depuis plusieurs années ; en 2005, il signait « L’adieu à la classe moyenne » ( La Dispute) ; de lui encore, on lira « Nouveaux rapports de classe et crise du politique dans le capitalisme informationnel » ( http://next.u-paris10.fr/actuelmarx/m4lojk.htm) ; et plus récemment, dans l’Humanité du 18 janvier 2012, l’article intitulé « La classe moyenne, cette anticlasse censée les absorber toutes ». Le réseau Wikipédia ( qu’on a connu plus pointu) résume à coup de serpes la thèse de Lojkine : « les personnes considérées comme faisant partie des classes moyennes appartiendraient en fait au prolétariat ». C’est un peu plus subtil que cela. Lojkine appelle les communistes « à renouveler leur analyse de classe. Ce qui supposerait en premier lieu de dépasser les références tantôt à une « classe ouvrière » qui n’existe plus comme sujet historique, tantôt à une « classe moyenne » qui n’est qu’un mot creux, désignant simplement ce que l’on ne parvient toujours pas à nommer : les fractions, multiples, des intellectuels salariés qui s’intègrent au salariat capitaliste, mais sans fusionner pour autant avec les catégories populaires ( ouvriers et employés). »

Ce travail est d’autant plus nécessaire, et urgent, qu’on sent confusément que l’« opération classe moyenne » est en voie d’épuisement. Aux Etats-Unis par exemple : la notion très consensuelle d’American way of life, déjà citée, a longtemps et parfaitement fonctionné. Ce pays se vivait un peu comme l’univers abouti de la classe moyenne. Or, sous l’effet conjugué de l’explosion des inégalités et de mouvements sociaux de « conscientisation » comme « Occupy Wall Street », les lignes bougent. La division en classes antagonistes tend de plus en plus à s’imposer, et la difficulté à se voir comme le juste milieu est réelle. Aujourd’hui, une majorité de l’opinion américaine estime que leur société est avant tout travaillée par les conflits ( qualifiés de forts ou très forts) entre riches et pauvres. C’est (décembre 2011) l’opinion de 66% des Américains, et même de 55% des républicains. Cette lecture, façon « lutte des classes », constitue, pour Martine Jacot du Monde (29/1/2012), un « curieux retournement » ; il faut remonter, estime-t-elle, aux années 1920-1930 pour retrouver une telle attitude. Il est vrai que les chiffres sont impressionnants : depuis les années 70, le revenu de l’Américain « moyen » n’a pas bougé, si l’on tient compte de l’inflation, alors que celui du 1% d’Americains les plus riches a plus que doublé et celui des super-riches (0,01% de la population) a été multiplié par sept.
L’habituelle rhétorique sur la « classe moyenne » a donc perdu de sa force . « Les Américains, note le même article, étaient fiers de leur méritocratie : quiconque un tant soit peu malin pouvait aspirer à devenir riche à la sueur de son front. Or (...) l’ascenseur social est bloqué pour la classe moyenne et les pauvres, chez lesquels les valeurs refuges qu’étaient la famille, le travail, la communauté et la foi se sont effondrées. »

encadré

Classes populaires et classes « instruites »

« (…) Le travail de traitement de l’information, le « travail sur autrui » caractéristique des services publics ( éducation, santé, information, justice, police) n’est plus aujourd’hui réservé aux cadres et aux travailleurs intellectuels : l’intellectualisation du travail productif marque la rupture entre la révolution industrielle et une révolution informationnelle qui transforme la nature même du travail ouvrier. L’aspiration à envoyer ses enfants faire des études les plus longues possibles est maintenant largement partagée par les couches populaires, par les ouvriers comme par les cadres, mais en même temps les inégalités sociales d’accès à la culture générale et à la formation supérieure sont telles qu’elles nourrissent des attitudes conflictuelles de rejet réciproque entre classes populaires et classes « instruites », cultivées. Les institutions chargées d’intégrer et de former les nouvelles générations ne sont plus adaptées à l’énorme clivage entre une scolarisation « de masse » et une formation scolaire élitiste, ségrégative. Du côté de la représentation politique, ni les partis politiques de gauche, ni les syndicats n’ont encore trouvé les instruments, les pratiques qui permettraient d’allier culture populaire et culture générale élitiste, en mettant fin aux ghettos qui enferment inclus et exclus . »

Jean Lojkine, Humanité du 18 janvier 2012

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Europe : une image dégradée

La moitié des Français pense que l’adhésion à l’Union européenne est une bonne chose, l’autre moitié en doute. C’est du 50/50.
C’est encore ce que montrait un sondage Ipsos-Logica Business Consulting réalisé lors d’un colloque sur les enjeux de la présidentielle par le journal Le Monde en partenariat avec France Inter en décembre dernier.
En dix ans, le regard est de plus en plus critique, le clivage sociologique est net, les cadres et diplômés se montrant attachés à l’Union, les ouvriers et sans diplômes sceptiques ou hostiles.
Il demeure cependant un « attachement » majoritaire à l’Europe, à laquelle on associe des notions de paix (50%) ou de libre circulation (46%) ; on lui reproche notamment son manque d’harmonisation fiscale et sociale.
Pour Brice Teinturier, directeur général délégué d’Ipsos, « on assiste moins à un rejet de l’Europe qu’à une critique de son incapacité à traiter la crise. »
Certes mais remarquons que les sondés doutent de plus des capacités de l ’Europe à trouver des solutions : ils sont aujourd’hui plus nombreux à souhaiter des pouvoirs nationaux élargis (48%) qu’un renforcement des moyens européens (41%).
Enfin, une autre enquête (CNN International avec ComRes, décembre 2011) indique que les Allemands sont aussi nombreux que les Français à estimer que leur pays serait plus solide s’il était resté en dehors de la zone euro : 42% !

Gérard Streiff

Propositions d’un double graphique

La notion européenne suscite-t-elle chez vous une réaction positive ou négative ?

En 2001
Positive : 64 %
Négative : 35 %

En 2011
Positive : 52%
Négatif : 47%



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