Revue du Projet, n°12 décembre 2011 : Résistible droitisation

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La résistible droitisation

La droitisation de l’électorat est un thème cher... à la droite libérale. Celle-ci veut croire dur comme fer que son hégémonie est durable. Alors que montent tout à la fois un évident rejet de Sarkozy et une réelle envie de gauche, parler de droitisation peut donc sembler paradoxal. Mais le paradoxe est là : une véritable régression est à l’oeuvre dans le pays, ravageant le paysage social, politique, idéologique alors même que s’affirment de fortes aspirations progressistes.

Pour le politologue Dominique Reynié, directeur général de la Fondation pour l’innovation politique ( Fondapol), un think tank libéral lié à l’UMP, la droitisation des électorats comme des dirigeants seraient à l’oeuvre, en France et en Europe ; selon lui, cela constituerait même la tendance dominante de la vie politique pour les dix ou quinze années à venir.
Les adeptes de la droitisation ne manquent pas d’arguments. Depuis des années, la droite donne le tempo de la vie politique, avec sa cascade de « réformes » ; elle contrôle l’essentiel des institutions ; son appendice extrémiste, le Front national, est haut dans les sondages. Dans le même temps, elle maîtrise l’appareil économique, elle verrouille la machine médiatique. Une dépolitisation croissante favorise une grille de lecture réactionnaire du monde. La régression sexiste est manifeste, comme l’a montré l’affaire DSK : complaisance face aux violences faites aux femmes, mise en doute de la crédibilité des victimes, tentatives de « ringardiser » le féminisme. Et la parité est à la peine.
Le tableau n’est guère plus brillant dans le reste de l’Europe. La grande majorité des membres de l’Union européenne sont dirigés par des formations de droite ; les droites extrêmes se renforcent de manière générale. Partout se déploient l ’argumentaire libéral, l’individualisme agressif ; la tendance au repli et l’hostilité à l’égard de l’étranger sont largement partagés. Partout, le catéchisme libéral – moins d’État, moins d’impôts, plus de libre marché - est omniprésent.
Pour les libéraux, cette droitisation serait une tendance lourde ; ils y voient un « réflexe de défense face à mondialisation » ; ils parlent de « crise identitaire », de « sensibilité au thème de la sécurité », au sens large.

D’où viendrait cette droitisation ? De multiples débats se croisent sur les origines de cette dérive ; on montre du doigt la mondialisation libérale, les angoisses collectives ; on raille l’impuissance du politique, la perte d’espoir ; on souligne l’effondrement des idéaux, la chute du mur et de l’URSS ; on note l’influence du conservatisme anglo-saxon ; on dénonce même la gauche et certains font remonter le recul aux années Mitterrand, à la démission d’une « élite de gauche » qui a capitulé devant le tout-marché, démonétisé les valeurs progressistes, désarmé les milieux populaires, entretenu une incrédulité croissante à l’égard des valeurs de liberté et d’égalité (voir le débat sur ce sujet dans le journal Le Monde en avril-mai 2011). On admet aussi, assez généralement, que la force de la droite viendrait d’une absence de propositions alternatives à gauche.
Un autre élément profite certainement à la droite, la crise durable de la politique. C’est un peu comme si, par défiance, ce qu’il y avait de nouveau dans la société ne débouchait plus, ou plus difficilement, sur le terrain politique, institutionnel.

Pour autant, la droitisation est-elle aussi irrésistible que le dit la droite ? En France le rejet de Sarkozy est fort, comme l’a encore montré la mobilisation pour la primaire du PS ; l’envie de gauche ( succès remarqué de la diffusion du programme du Front de gauche, « L’humain d’abord » ou résultats de Montebourg par exemple) est manifeste. Le passage à gauche du Sénat en est encore un signe. En Europe, une certaine pression progressiste est palpable en Allemagne, en Italie. Les sociaux-démocrates sont revenus au pouvoir au Danemark. Des mouvements sociaux nombreux, à Athènes ou Londres, des manifestations spectaculaires d’ « indignés » à Madrid et ailleurs contrarient la thèse d’une droitisation triomphante, ce que montre d’ailleurs le rapport de Jacques Fath devant la direction communiste, en septembre dernier.
Le mouvement des indignés indique, soit dit en passant, qu’il existe des sociétés novatrices, critiques, bien supérieures à la superstructure politique qui les représente, les chapeaute.

Les libéraux répondent que ce sont là des péripéties, une conjoncture qui ne remet pas en cause la ligne générale. Ivan Rioufol, idéologue du Figaro, résume bien cette démarche en titrant une de ses chroniques : « Le PS peut gagner mais le socialisme a perdu. » Dominique Reynié, lorsqu’on lui demande ( Le Monde, 28 septembre) si la droite est en panne d’idées répond : « Ses idées triomphent ! » Plus personne au PS, polémique-t-il, « ne conteste la nécessité de lutter contre la dette et les déficits. C’est une révolution dont la droite n’a pas mesuré l’importance ». Pour lui, la candidature Hollande incarne ce virage : « Jusqu’à présent, dans la pensée de la gauche, l’État devait être capable de tout financer. Avec Hollande, c’est fini.(...) Si son plan réussit, Hollande sera le premier à prendre le PS par la droite ! »
Bref la droitisation idéologique de l’opinion serait acquise. Pour des gens comme Reynié, la norme sociale du capitalisme serait devenue la règle. C’est probablement un peu plus compliqué.

Les études d’opinion montrent plutôt un double mouvement. Prenons les adhérents socialistes, objet de nombreuses études. Si on en reste aux « fondamentaux » de la politique économique et sociale par exemple, on peut parler d’une acceptation de l’économie de marché ; pour l’électeur socialiste, les profits sont un indicateur de vitalité économique, la liberté d’entreprendre doit être encouragée. « On a gagné ! » pourrait donc dire Rioufol du Figaro. Oui mais ces mêmes sondés sont très critiques à l’égard du libéralisme économique, qu’ils distinguent du marché, ils sont même, pourrait-on dire, globalement antilibéraux, opposés à la totale liberté patronale d’embaucher ou de licencier, aux campagnes de droite sur les « faux chômeurs », à la baisse du nombre de fonctionnaires, ils souhaitent une hausse significative du Smic et des salaires ; c’est vrai qu’une large partie d’entre eux considèrent qu’avec la mondialisation, les marges de manoeuvre des politiques sont restreintes, mais est-ce une idée de droite ou de gauche ?

Reste que le thème, martelé, d’une droitisation irrésistible est une machine de guerre qui installe l’idée qu’on pourrait toujours s’offrir des alternances mais plus jamais d’alternative.

Gérard Streiff

encadré

Droitisation des médias
François Jost,professeur à Paris 3, directeur du Centre d’études sur les images et les sons médiatiques.

« La façon dont on s’exprime dans les débats télévisés a toujours été à l’image de ce que donnait à voir le monde politique. L’arrivée de la gauche au pouvoir s’est accompagnée de discussions enfumées, si ce n’est fumeuses, à l’instar du "Droit de réponse", de Michel Polac, où les arguments s’opposaient. Puis la cohabitation a mis fin à ces échanges musclés. A l’instar de ce qui se passait à la tête de l’Etat, il fallait rechercher le consensus ou, tout au moins en donner l’apparence. A tel point que le débat Chirac-Jospin, à la veille de l’élection présidentielle, fut d’une politesse parfaite et d’un ennui absolu.
L’accès de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle de 2002 a repoussé les limites du dicible dans les médias. L’élection de Chirac avec un score faussement consensuel a rendu nécessaires de vrais affrontements d’idées. C’est le moment où la télévision décide elle aussi de se "décomplexer". (…) Ce n’est plus le débat d’idées qui est valorisé, mais la joute verbale, qui devient un divertissement comme un autre. Thierry Ardisson, Marc-Olivier Fogiel et d’autres avaient fait un premier pas vers l’"infotainment" en mêlant hommes politiques et vedettes du show-biz, Laurent Ruquier, avec son émission "On n’est pas couché", a fait un pas supplémentaire : il a transformé les éditorialistes politiques en vedettes du show-biz. C’est-à-dire en personnages doués d’une personnalité identifiable. De même que dans la fiction, rien ne fonctionne mieux que les couples de contraires, les couples de polémistes sont devenus l’ingrédient nécessaire de toute émission de radio ou de télé. « Le Monde, 29/04/2011

In LA REVUE DU PROJET, décembre 2011
pp 24-25



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