Cause commune (5)

Auto-analyse de la droite

La droite est à la peine. Non seulement ses positions ont été chahutées, étouffées par Macron mais elle semble aujourd’hui douter de son propre corpus idéologique. C’est ce qui ressort du « rapport de la refondation de la droite et du centre », sorte d’auto-analyse commandée l’automne dernier par la direction des Républicains.

Laurent Wauquiez, le nouveau patron des Républicains, déclarait (pendant la campagne pour la présidence du parti) : « Il faut tout reconstruire, ça prendra du temps ». Un constat plutôt lucide. La droite en effet a été torpillée par la stratégie de Macron qui a défait Fillon puis pillé son programme. La droite est aujourd’hui en petite forme, mais est-ce dû à une conjoncture compliquée ou à une crise existentielle ? Aux lendemains de la séquence électorale calamiteuse du printemps 2017, la direction du parti des Républicains, à l’époque Bernard Accoyer, secrétaire général, s’entourant pour la circonstance de cadres trentenaires, a choisi de se livrer à une sorte d’auto-analyse : elle a adressé à ses adhérents un questionnaire et s’est donnée quatre mois pour organiser plusieurs ateliers thématiques. Selon les chiffres fournis par ce parti, 40 000 questionnaires ont été remplis, 40 fédérations se sont mobilisés, huit ateliers ont été organisés et 18 experts ont été auditionnés. On n’est pas obligé de prendre ces données pour argent comptant ; reste qu’à l’arrivée est sorti de ce remue-méninge un document d’une centaine de pages, intitulé « Rapport de la refondation de la droite et du centre » qu’il n’est pas inutile de consulter pour comprendre comment marche (ou ne marche plus) cette formation.

Le rapport est en trois parties : « Oser le droit d’inventaire », « Un corpus idéologique à clarifier » et « Comment se remettre en mouvement ? »
Si la droite conserve des forces militantes et un ancrage local, si elle a su attirer une nouvelle génération d’élus, en même temps elle sort éreintée des scrutins 2017. La déconfiture de Fillon puis le marasme des législatives peuvent être mis sur le compte de maladresses, dit le rapport, mais « au-delà de son aspect circonstanciel, la double défaite de 2017 traduit une déception, une perte de confiance dans notre mouvement » : promesses non tenues, ravages de la pensée unique, comportement technocratique, perte du sens de l’intérêt général, rejet des primaires, refus de la « classe » politique...

On a quitté un monde

Le rapport fait le point sur le corpus idéologique de la droite, qu’il tente de redéfinir. En ressort quelques idées simples : les militants croient à la pertinence de l’opposition droite/gauche (73%). Ce clivage n’est pas mort pour eux. « Renoncer à l’opposition dialectique entre la gauche et la droite, c’est faire le lit du populisme ». Ceci dit, « il appartient à la droite française de se repenser et de se moderniser ». Et là on (l’observateur) reste sur sa faim. L’analyse de la société française est quasi absente. On parle peu d’économie Rien ou presque sur la financiarisation, sur la précarisation généralisée.Rien ou presque sur la mondialisation (heureuse ou malheureuse ?). Rien sur l’Europe. Rien ou presque sur les enjeux de société, qui pourtant avaient mobilisé le peuple de droite ces dernières années (dans la Manif pour tous), comme s’il s’agissait de sujets trop brûlants ou disqualifiants. « 18 % des adhérents considèrent les questions sociétales comme une priorité » dit le rapport. 18 % seulement ? Vraiment ? Mais si on ne parle ni d’économie (ou si peu), ni du sociétal, on parle de quoi ? On oppose ville/campagne, périurbains/citadins, capitale/province… Et puis revient la petite complainte sur la liberté d’entreprendre, qui semble la seule valeur insubmersible des Républicains, point final. La droite refuse d’être « vassale de Macron » ou « suiveuse du Front national », mais encore ?
Les seuls moments d’interrogation sur le « nouveau clivage du XXIè siècle » donne ceci : pour François Xavier Bellamy, une des têtes pensantes de ce courant, « voulons nous reconnaître que quelque chose nous précède, qui mérite d’être reçu et d’être transmis ou bien voulons-nous céder à une sorte de constructivisme, qui nous dit que l’État peut tout ou que l’individu peut tout ? » Le romancier Denis Tiliniac, également sollicité, a un raisonnement proche. Pour lui « un clivage ancien, perenne, distingue une gauche qui porte d’abord vers l’universel, considérant que l’homme est citoyen du monde et une droite qui renvoie toujours à l’héritage, considérant que l’homme privé d’ancrages est condamné au dénuement. (…) A gauche on pense que la liberté tient en l’émancipation totale de l’individu. A droite nous sommes plutôt dans l’idée que l’homme doit fonder sa propre loi mais en référence à un socle de valeurs héritées ». Il y a dans ces propos comme de la nostalgie dans l’air. Ce qui fait dire à l’idéologue Dominique Reynié, qui préside une fondation proche du parti : « Il y a beaucoup de raisons de penser que nous avons quitté un monde que nous ne retrouverons plus. Vouloir restaurer ce qui a été perdu ne serait pas une bonne idée et, si j’avais une recommandation à faire, ce serait de ne pas aller chercher de ce côté-là »

Pour la « remise en mouvement », dernière partie du rapport, est souligné le besoin d’un leader et d’un collectif de direction : « Si nous avons la conviction que les partis continueront à jouer un rôle fondamental, et s’ils demeurent comme le disait Max Weber « les enfants de la démocratie », notre formation ne peut plus faire l’économie de questions essentielles : qu’attendent nos militants de leur engagement au sein d’une formation politique ? Comment donner envie à tous les passionnés de politique de rejoindre notre mouvement ? Comment faire émerger de nouveaux visages ? » Les militants « font du débat d’idées une mission prioritaire à laquelle ils souhaitent être largement associés » et s’exprime le besoin d’une « fondation qui travaille sur le fond ».
L’idée est avancée de recréer une école des cadres.« Notre mouvement a par le passé été tourné vers les parlementaires. Nous devons donner davantage de place et de visibilité à une nouvelle génération d’élus locaux très prometteuse ». Le rapport parle encore « d’une extraordinaire vitalité intellectuelle à droite ». Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’on ne retrouve guère cette vitalité dans cette auto-analyse. A-t-elle été confisquée aujourd’hui par Macron ?
Malgré tout un rebond de LR n’est pas impossible. Une récente enquête Kantar (fin 2017) montre que ses sympathisants sont à la fois convaincus par la ligne gouvernementale (en politique économique singulièrement) et attendent, majoritairement (et paradoxalement), que LR s’oppose plus fortement à Macron. Opposez vous et vous existerez, semble dire cette opinion de droite à LR. L’exercice est plutôt compliqué.

Extraits
Qu’est ce qui nous divise, qu’est ce qui nous unit ?

« Bien que sachant se rassembler autour d’un point d’équilibre, la droite et le centre restent traversées par des fractures issues des deux grandes traditions politiques qui les composent. La droite et le centre français ont toujours été pluriels et les traditions politiques qui les ont structurés restent bien vivantes, même si les lignes de clivage ont pu bouger avec le temps. Il subsiste une droite qui se veut tournée vers la modernité, composée de catégories socioprofessionnelles supérieures, plutôt urbaine et libérale. Cette droite est l’héritière de l’udf, de la démocratie chretienne et, d’une certaine manière, de l’orléanisme. A côté de cette sensibilité, il demeure une droite plus populaire, plus souverainiste, attachée aux traditions et héritière de la doctrine gaulliste. Cette droite s’inscrit dans la lignée du RPR. Pour schématiser, on peut dire qu’une partie de la droite libérale, urbaine, plutôt aisée, a voté pour La République en marche aux élections législatives. Une partie d’entre elle regarde avec intérêt l’action d’un gouvernement qui prend des mesures économiques qu’elle plébiscite. L’approche pro-européenne et ouverte sur la mondialisation parle aussi à cet électorat qui souvent est bien inséré socialement et économiquement. De l’autre côté, une partie de la droite populaire a pu voter pour le Front national lors des dernières élections parce qu’elle considérait que la droite de gouvernement n’avait pas entendu ses craintes sur l’Europe, la mondialisation et les profonds bouleversements de société accompagnant les migrations. »

Rapport de la refondation de la droite, p 44



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